Le parquet d’Arras confirme l’ouverture d’une enquête concernant la mairie de Saint-Pol

« Pas de communication sur une enquête en cours. Le parquet se réserve par ailleurs la possibilité de diligenter des poursuites contre toutes personnes, élus compris, qui ne respecteraient pas le secret de l’enquête. » Le procureur de la République d’Arras ne dira rien d’autre mais confirme qu’une enquête est ouverte concernant la mairie de Saint-Pol. 

L’affaire a été portée sur la place publique par le nouveau maire de Saint-Pol. Jeudi dernier, la mairie n’est pas encore ouverte que Benoît Demagny fixe aux journalistes locaux un rendez-vous en fin de matinée, concernant des « faits assez graves en mairie » : entre-temps, trois agents municipaux sont débarqués. L’ancienne collaboratrice de Maurice Louf voit arriver un huissier dans son bureau, l’invitant à quitter la mairie séance tenante (lire ci-dessous). Un autre agent reçoit, chez lui, la visite d’un huissier, avec le renfort de la police municipale : il est suspendu de ses fonctions et doit remettre son ordinateur et son téléphone de service, ainsi que les clés de la mairie. Son arrêté de suspension mentionne des suspicions de complicité de détournement de fonds, accusation portée également contre un autre agent*, suspendu comme son collègue jeudi matin.

« Depuis que nous avons récupéré la compétence assainissement, nous n’avons eu de cesse de réclamer les documents nécessaires pour préparer les budgets. Nous avons tempêté auprès de la DGFIP en soulignant qu’il était anormal de ne pas avoir ces documents. »

Marc Bridoux, président de la communauté de communes TernoisCom

Ne souhaitant pas froisser le procureur en trahissant le secret de l’enquête, on vous invite à consulter nos confrères (ici et ) pour les éléments communiqués sur le fond de l’affaire par Benoît Demagny. Le maire de Saint-Pol a porté plainte contre X pour détournements de fonds publics, tout comme le président de TernoisCom, Marc Bridoux. En effet, le préjudice concernerait essentiellement le Syndicat intercommunal à vocation unique – SIVU – qui gérait l’assainissement pour Saint-Pol, Gauchin-Verloingt, Saint-Michel-sur-Ternoise, Ramecourt et Roëllecourt. Le SIVU était présidé jusqu’en 2017 par Maurice Louf, ancien maire de Saint-Pol, avant d’être intégré dans l’intercommunalité qui a récupéré la compétence assainissement. « La mairie de Saint-Pol assurait la comptabilité et le secrétariat pour le SIVU. Depuis que nous avons récupéré la compétence assainissement, nous n’avons eu de cesse de réclamer les documents nécessaires pour préparer les budgets. Nous avons dû nous appuyer sur les éléments fournis par la trésorerie, qui dispose de tous les comptes. Nous avons tempêté auprès de la DGFIP en soulignant qu’il était anormal de ne pas avoir ces documents. La DGFIP a organisé un audit qu’elle a remis à Monsieur Demagny et moi-même peu après la fin du confinement, vers le 26 mai. » Le maire de Saint-Pol assure n’avoir eu connaissance du rapport que fin juin, début juillet.

« Je ne sais pas ce qu’on me reproche. Je tiens tous mes relevés de comptes à la disposition de la gendarmerie. »

Un agent de la ville, suspendu pour suspicion de complicité de détournement de fonds

En revanche, l’ancien président du SIVU, Maurice Louf, n’a pas été destinataire du rapport et il assure n’avoir aucune idée de ce dont il retourne. Il a réagi dans un communiqué commun des élus d’opposition : « Un détournement de fonds est suspecté en mairie de St Pol. Si les faits sont avérés, cela est très grave et ne saurait avoir notre indulgence ! Une enquête serait en cours. Mais la présomption d’innocence est d’autant plus de rigueur que ces deux agents ont plus de 20 ans et 35 ans de carrière dans la fonction publique et qu’ils ont encore toute notre confiance. » L’un des agents mis en cause a lui aussi découvert l’accusation jeudi dernier, en même temps que sa suspension pour complicité de détournement de fonds : « Je ne sais pas ce qu’on me reproche. C’est révoltant, c’est une carrière complète de probité qui est traînée dans la boue. Je tiens tous mes relevés de comptes à la disposition de la gendarmerie. » Il affirme avoir appris les faits dans la presse et ne connaissait pas même l’identité de son collègue, également suspendu : aucun risque qu’il trahisse le secret de l’instruction. L’agent s’interroge sur les sommes évoquées dans la presse et s’étonne que ni le Trésor public ni les élus du SIVU et de TernoisCom n’aient relevé la moindre anomalie, en validant systématiquement les comptes.

« Il faut redoubler de vigilance dans nos collectivités. Ça n’arrive pas qu’aux autres. »

Marc Bridoux, président de la communauté de communes TernoisCom

« Il y a eu un manquement quelque part, estime Benoît Demagny. Je n’en ai pas parlé avec les agents concernés, pour éviter que des preuves disparaissent. On aura sans doute un audit de la Cour des Comptes pour voir s’il n’y a pas autre chose, d’autres personnes concernées. » Le maire de Saint-Pol a d’ailleurs réuni les agents de la ville pour les informer de la situation : « J’ai pris la décision de suspendre deux agents de leurs fonctions pour protéger le fonctionnement de la ville. J’ai eu le rapport voici une dizaine de jours. J’ai voulu intervenir rapidement, après avoir pris conseil auprès de notre avocat. La transparence et la rapidité ont été bien accueillies par les agents. » Benoît Demagny envoie ainsi un message fort aux employés de la ville, tout comme Marc Bridoux envoie un avertissement aux élus : « Il faut redoubler de vigilance dans nos collectivités. Ça n’arrive pas qu’aux autres. » Un même avocat défend la ville et la communauté de communes dans cette affaire et le président de TernoisCom en informera le conseil communautaire lors de sa réunion d’installation prévue ce mercredi 15 juillet – en respectant évidemment le secret de l’enquête.

* Nous n’avons pas réussi à prendre contact avec le deuxième agent mis en cause.


Embauchée illégalement, l’ancienne collaboratrice de Maurice Louf débarquée de la mairie « manu militari »

Lors du dernier conseil municipal, le nouveau maire de Saint-Pol avait dénoncé l’embauche tardive, après le premier tour des municipales, de la collaboratrice du maire : « Cette embauche n’avait pas de but, pas d’intérêt, elle ne correspondait à aucun besoin. Nous devions être informés de toute décision prise par la municipalité et ça n’a pas été le cas, malgré un courrier recommandé pour avoir des explications. J’ai demandé un contrôle de la légalité au niveau de la préfecture. » Son prédécesseur, Maurice Louf, fait son mea culpa et ne nie pas que cette titularisation n’était pas légale sur la forme : « Nous ne l’avons pas présentée au conseil municipal. La décision prise par le maire a dû être rattachée au conseil municipal précédent, ce qu’on n’a plus le droit de faire. » Néanmoins, l’ancien maire et son équipe dénoncent, dans un communiqué commun, la méthode employée pour débarquer l’ancienne collaboratrice : « Une expulsion de la mairie, avec intervention d’un huissier.  Comment qualifier ce comportement ? Nous estimons cette attitude scandaleuse, indigne d’un élu qui veut mobiliser le personnel municipal au service de la population. N’y a-t-il pas d’autre mode de relation entre un maire et un agent municipal ?  Quelles que soient les raisons de vouloir se séparer de cet agent communal, rien ne justifie une telle méthode inhumaine, indigne d’un maire. » Benoît Demagny assume la décision de solliciter un huissier : « Ce n’est pas de gaieté de cœur qu’on fait ces choses-là. Nous avons eu recours à un huissier car l’agent refusait de signer les documents nécessaires. Cette personne était en poste à la mairie, nous avons essayé de lui trouver des activités, mais nous n’avions pas de besoins particuliers. » Une version fermement démentie par l’agent en question : « Le maire est arrivé dans mon bureau avec l’huissier. Il m’a dit qu’il m’amenait l’arrêté annulant ceux de Maurice Louf pour la création de mon poste et que je devais prendre mes affaires et lui rendre la clé de la mairie. Sur le coup, je n’ai pas voulu signer, mais de toute façon, l’huissier était là pour constater la situation. On ne m’a jamais dit que mon poste était menacé. J’ai appris par la presse que la création de mon poste devait passer au contrôle de légalité en préfecture. J’ai continué à travailler pendant quatre mois, Martine Dusart m’a sollicitée pour préparer le Saint-Pol Infos du mois de septembre, j’ai accompagné le maire lors de sa visite des services, mais à aucun moment il ne m’a dit que mon poste était menacé. Même dans le privé, il y a des règles, des échanges avant un licenciement. Là, le maire est arrivé avec un huissier et j’ai dû quitter en cinq minutes le lieu où j’ai travaillé durant onze ans », raconte d’une voix étranglée l’ancienne collaboratrice du maire. Benoît Demagny précise qu’il s’agit d’une coïncidence si cet agent a été débarqué le même jour que la suspension de deux de ses collègues pour des suspicions de détournement de fonds : « J’avais quatre mois pour faire annuler l’arrêté de Maurice Louf, le délai arrivait à expiration », justifie Benoît Demagny. « Ça fait un peu haro sur le baudet, ça donne l’impression qu’on jette les gens en pâture, déplore Claude Roussez, conseillère d’opposition. La façon dont a été traité cet agent me laisse sans voix. Je sais comment elle a vécu son expulsion de la mairie, ça a été apocalyptique. Ce n’est pas ainsi que j’envisage les relations entre les gens d’une même communauté. Quel univers impitoyable. »

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