Tout le monde n’a pas forcément envie d’être filmé et il est bon d’entendre ceux qui s’y refusent. En ouverture de la séance du conseil municipal, la maire de Saint-Pol, Danielle Vasseur, a demandé à notre journaliste de ne pas filmer la séance : « Certains agents s’y opposent, vous ne pouvez pas filmer. » Auparavant, personne n’y voyait d’inconvénient, la mairie de Saint-Pol avait même fait appel à un prestataire pour diffuser les conseils municipaux en direct, du temps de la magistrature de Benoît Demagny. Autres temps, autres mœurs. Défenseur des libertés individuelles et respectueux de la loi, le Gobelin a pris soin de détourner la caméra, mais a néanmoins retransmis le conseil municipal, soucieux de contribuer à la publicité des débats, d’autant que ceux-ci ont abordé des questions démocratiques essentielles.
« Il y a d’autres villes de notre région qui se sont illustrées en coupant les vivres à des locaux du Secours Populaire, de la Ligue des Droits de l’Homme… »
Jean-Claude Girot, conseiller municipal d’opposition
Le conseil municipal s’est ainsi ouvert sur la suppression de la subvention à la Ligue des Droits de l’Homme : la majorité municipale avait considéré que cette association n’avait pas de compte bancaire local et que l’argent partait au niveau national – ce qui avait également motivé la suppression des subventions aux Restos du Cœur (200€) et au Secours Catholique (200€). Or, la Ligue des Droits de l’Homme a bel et bien une antenne locale, présidée par Claude Devaux : « [Il] vous a fait parvenir un courrier expliquant qu’il n’était pas d’accord avec la décision prise par le conseil municipal puisque la Ligue des Droits de l’Homme, qui a son siège à Saint-Pol, a un compte personnel à Arras. Monsieur Devaux vous a envoyé l’ensemble des documents et n’a, à ce jour, apparemment pas eu de réponse », rapportait l’opposante Betty Soyez. En réponse, Danielle Vasseur s’est engagée à recevoir le président de l’antenne locale pour évoquer la situation : « Toutes les associations ont reçu un courrier auquel il fallait répondre avant une certaine date. Ils n’ont pas répondu. Mais on peut en discuter. » « Il y a d’autres villes de notre région qui se sont illustrées en coupant les vivres à des locaux du Secours Populaire, de la Ligue des Droits de l’Homme… C’est dommage qu’à Saint-Pol, on n’ait pas pensé à ça et aux conséquences médiatiques que ça pouvait avoir. Symboliquement, on aurait pu se renseigner plutôt que de ne pas leur attribuer de subvention », déplorait Jean-Claude Girot, lui-même membre de la Ligue des Droits de l’Homme. Ce n’est pourtant pas un radical : alors que cette ligue s’est régulièrement positionnée contre le déploiement de la technopolice, Jean-Claude Girot s’est abstenu lors du vote sur l’implantation d’un nouveau système de vidéosurveillance. Tout comme la quasi-totalité de l’opposition d’ailleurs, à l’exception de René Grandsir qui a soutenu le projet. Personne n’a voté contre.
« En questionnant les Saint-Polois, on s’est aperçu qu’ils avaient un ressenti d’insécurité dans la ville. J’ai dit “un ressenti”, ce n’est pas forcément une insécurité présente. »
Vincent Joseph, adjoint aux bâtiments et au cadre de vie
Ainsi, la majorité municipale +1 voix a entériné l’implantation de treize nouvelles caméras pour un montant de 120 000€ TTC. Pour quoi faire ? « Lors de la campagne électorale de 2020, en questionnant les Saint-Polois, on s’est aperçu qu’ils avaient un ressenti d’insécurité dans la ville. J’ai dit “un ressenti”, ce n’est pas forcément une insécurité présente. On a proposé de mettre des caméras pour assurer la tranquillité. Cela nous permet aussi de vaincre les incivilités, les dégradations, les faits de délinquance, dans certains lieux qu’on a ciblés », argumentait l’adjoint Vincent Joseph. L’installation de caméras viserait donc à lutter contre un “ressenti” plutôt que contre “une insécurité présente” ? L’ex-maire Benoît Demagny s’est empressé d’apporter une justification plus solide : « Quand j’étais maire, les gendarmes ont manqué de moyens dans certaines affaires, à cause d’enregistrements qui faisaient défaut. Ça ne leur permettait pas de mener à bien leurs enquêtes. […] Cette démarche est malheureusement faite dans pas mal de villes et c’est important que Saint-Pol mette des moyens là-dessus. D’autres villes mettent aussi ce type d’équipements et si vous êtes en retard, vous récupérez des personnes qui ont des problèmes. » Mais qu’en est-il vraiment de la délinquance à Saint-Pol ?
Aucune donnée chiffrée sur l’état de la délinquance à Saint-Pol pour justifier l’installation de treize caméras supplémentaires
Malgré son insistance, Betty Soyez n’obtiendra pas de réponse à ce sujet : « J’aimerais savoir ce qu’on a comme données chiffrées qui justifient la mise en place de treize caméras dans une ville de cinq mille habitants. Est-ce que grever le budget de 120 000 euros se justifie par rapport à des chiffres qui auraient mis en exergue que la ville de Saint-Pol a besoin de se doter de ce genre de caméras ? […] Au niveau du budget, on a mis en avant le fait qu’on n’avait pas d’argent, qu’il fallait augmenter à nouveau la taxe foncière à cause du coût de l’énergie et là, on dépense 120 000€. Est-ce qu’il n’y avait pas d’autres solutions, en mettant de l’humain, des médiateurs, ou peut-être plus de police ? » Justement, le conseil municipal compte dans ses rangs un ancien de la police nationale, avec l’adjoint Marc Ricart qui s’est dit « à 100 % pour » la technopolice : « Bien sûr, on ne va pas résoudre à 100 % la délinquance, ça diminue quand même. […] Les gendarmes, ils se disent : “S’il y avait ce petit truc de vidéoprotection à Saint-Pol, on aurait un outil de travail. S’il se passe des choses dans un secteur, on pourrait aller voir.” Vous allez me dire que maintenant, les délinquants mettent des casquettes… Je me vois mal expliquer aux commerçants et à la population qu’on n’a pas besoin de ça. Ça se fait dans presque toutes les villes, à grande échelle. On a eu un projet avec TernoisCom, on s’est dit “Pourquoi pas !”. » C’est donc par opportunisme que treize nouvelles caméras vont être installées à Saint-Pol pour lutter contre le sentiment d’insécurité et 120 000€ d’argent public déboursés. C’est toujours ça que la Ligue des Droits de l’Homme n’aura pas – ni le Gobelin du Ternois d’ailleurs.