« Treize caméras, réparties sur huit points stratégiques de la commune » pourraient être implantées à Saint-Pol-sur-Ternoise. C’est en tout cas le projet de technopolice qui va être soumis au conseil municipal ce mardi 27 juin. Coût de l’opération : 120 000 euros pour la fourniture et la pose des équipements, auxquels s’ajoutera le coût de fonctionnement de 3 750 euros chaque année. Cet investissement est prévu dans le cadre du groupement de commandes de TernoisCom et d’autres communes devraient également déployer des systèmes de surveillance dans l’espace public. D’ailleurs, la communauté de communes a prévu de centraliser les images des caméras dans son nouveau siège d’Herlin-le-Sec : pour l’instant, il est simplement prévu d’enregistrer les images et de les conserver durant quinze jours. En 2010, la capitale du Ternois s’était déjà équipée de seize caméras – pour un montant de 50 000 euros – et en 2017, TernoisCom en avait installé dix autres (places Leclercq, Lebel, Pompidou, à la gare, aux entrées de ville…). Néanmoins, le système géré par la ville s’est avéré rapidement obsolète, voire défaillant, comme le reconnaissait dès 2014 le maire d’alors, Maurice Louf, qui expliquait « le choix d’installer les caméras a été retenu à la fois pour aider la gendarmerie dans ses enquêtes et pour rassurer la population » : même hors d’usage, les caméras ont été maintenues pour dissuader d’éventuels projets criminels, mais aussi pour “lutter contre le sentiment d’insécurité”, qui reste la principale fonction de ces systèmes. Mais quels résultats dans la lutte contre la délinquance ?
« Un gaspillage d’argent public » pour contribuer au mieux à 3,5 % des résolutions d’enquête
Selon un rapport d’octobre 2020 de la Cour des Comptes, « aucune corrélation globale n’a été relevée entre l’existence de dispositifs de vidéoprotection et le niveau de la délinquance commise sur la voie publique, ou encore les taux d’élucidation ». Le rapport souligne « une efficacité de la vidéoprotection insuffisamment mesurée » et les quelques rares études sur le sujet attestent d’un apport très marginal de ces systèmes : une des dernières en date (commandée par le Centre de recherche de l’école des officiers de la gendarmerie nationale) a estimé que seul 1,13 % des enquêtes ont été résolues grâce à la vidéosurveillance. Dans une précédente étude, le sociologue Laurent Mucchielli constatait déjà un taux de résolution grâce aux caméras entre 1 et 3,5 %, dénonçant « un gaspillage d’argent public ». Qu’en est-il à Saint-Pol et dans le Ternois ? « La CNIL rappelle régulièrement qu’une évaluation de la nécessité et de la proportionnalité du dispositif envisagé, au regard des finalités poursuivies, doit être opérée avant son implantation », indique la Cour des Comptes. Les élus doivent donc disposer d’éléments factuels pour se prononcer sur de tels dispositifs, d’autant que « la surveillance systématique à grande échelle d’une zone accessible au public [est] susceptible de présenter un risque élevé pour les droits et libertés des personnes physiques ».
« Je ne suis pas sûr que nous ayons les moyens de garantir que cela ne soit pas utilisé autrement par la suite. »
Gérald Darmanin, ministre de l’Intérieur
Enfin, le déploiement de caméras ouvre la porte à d’autres menaces sur les libertés individuelles, d’autant que certains politiques militent désormais pour associer des logiciels de reconnaissance biométrique (notamment de reconnaissance faciale) à ces dispositifs. Même l’actuel ministre de l’Intérieur, Gérald Darmanin, s’y est opposé en reprenant un argument des défenseurs des libertés publiques : « Cela pose la question de la société que l’on veut, il faut accepter une part de risque, même si ce débat est toujours difficile à tenir. Je ne suis pas sûr que nous ayons les moyens de garantir que cela ne soit pas utilisé autrement par la suite. » En Chine, mais aussi en Angleterre, le pas a déjà été franchi. Quelques caméras ici ou là pourraient sembler inoffensives, mais une fois mises en réseau et/ou associées aux logiciels de traitement des données, elles se transforment en un redoutable outil de surveillance de masse – qui pourrait tomber demain dans les mains d’un régime autoritaire. Quant à l’argument fallacieux consistant à dire que ceux qui n’ont rien à cacher n’ont rien à craindre, le lanceur d’alerte Edward Snowden y a déjà répondu de la meilleure des manières : « Dire que votre droit à la vie privée importe peu, car vous n’avez rien à cacher revient à dire que votre liberté d’expression importe peu, car vous n’avez rien à dire. Car même si vous n’utilisez pas vos droits aujourd’hui, d’autres en ont besoin. Cela revient à dire : les autres ne m’intéressent pas. »
Pour aller plus loin :
– Documentaire : Tous surveillés : 7 milliards de suspects
– Livre : Vous êtes filmés ! de Laurent Mucchielli ; 1984 de George Orwell
– Jeu vidéo : Watch Dogs – Legion
– Série TV : Black Mirror
– Podcast : Superfail – La vidéosurveillance, un vrai bluff