En février 1944, George Orwell achevait l’écriture de La Ferme des Animaux : un « conte de fées » qui ne visait pas à servir de manuel politique mais d’avertissement face aux dérives du totalitarisme. Il y décrit une ferme où les chevaux, moutons, volailles, chiens, chat, âne et autres animaux ont pris le contrôle, sous la direction des cochons, notamment d’un nommé Boule-de-Neige et surtout de Napoléon, « un gros berkshire d’aspect passablement féroce […] Il n’était pas très bavard mais avait la réputation de toujours parvenir à ses fins »*. Pour gérer leur domaine, les animaux établissent un système démocratique : « des résolutions étaient présentées et discutées. C’étaient toujours les cochons qui présentaient les résolutions. Les autres animaux comprenaient comment l’on vote, mais n’avaient jamais de propositions personnelles à faire. » Insidieusement, le système se centralise, au profit des cochons qui prennent de plus en plus de pouvoir, écartant avec mépris ceux qu’ils sont censés représenter : « On avait fini par accepter que les cochons, qui étaient manifestement plus intelligents que les autres animaux, décident de toutes les questions relatives à l’administration de la ferme, bien que les décisions dussent être ratifiées par un vote à la majorité des voix. »
« Napoléon savait mieux rallier les suffrages en sa faveur entre deux réunions. Il obtint ses meilleurs résultats auprès des moutons. »
George Orwell, La Ferme des Animaux
Si le vote majoritaire apparaît comme une évidence dans un système démocratique, il n’échappe pas aux manipulations mentales que George Orwell décrit effroyablement dans son autre chef d’œuvre : 1984. Dans La Ferme des Animaux, les systèmes d’influence ne sont pas aussi poussés mais sont bel et bien à l’œuvre : « Boule-de-Neige obtenait souvent la majorité lors des assemblées grâce à ses discours brillants, mais Napoléon savait mieux rallier les suffrages en sa faveur entre deux réunions. Il obtint ses meilleurs résultats auprès des moutons. » Ces derniers avaient pris l’habitude de bêler pour couvrir les opinions contraires à celles de Napoléon. Finalement, l’opposition fut rapidement réduite au silence et Napoléon « annonça que dorénavant, c’en était fini des assemblées du dimanche qui ne servaient à rien, dit-il, et faisaient perdre du temps. À l’avenir, toutes les questions relatives à l’administration de la ferme seraient réglées par un comité spécial composé de cochons, dont il assurerait la présidence. Le comité se réunirait en séances privées et communiquerait ensuite ses décisions aux autres. »
« Tous les animaux sont égaux mais certains animaux sont plus égaux que d’autres »
George Orwell, La Ferme des Animaux
D’une organisation horizontale, où tous les animaux devaient pouvoir s’exprimer librement, Napoléon, sa clique et ses cerbères prennent le pouvoir et embobinent les protestataires, toujours moins nombreux : « En avril, la Ferme des Animaux fut proclamée République, et il devint nécessaire d’élire un président. Il n’y avait qu’un seul candidat, Napoléon, qui fut élu à l’unanimité. » Bercés d’illusions et de beaux discours, les animaux suivent aveuglément Napoléon et des lois qui s’adaptent aux envies du pouvoir, jusqu’à disparaître au profit d’une seule : « Tous les animaux sont égaux mais certains animaux sont plus égaux que d’autres ». Sous le regard sidéré des citoyens de la Ferme, qui ne comprirent que trop tard ce qui se passait, leur rêve de démocratie se réduit à un changement de maîtres : « Les bêtes, au-dehors, faisaient aller leur regard d’un cochon à un homme, puis d’un homme à un cochon, puis de nouveau d’un cochon à un homme ; mais il n’était déjà plus possible de distinguer l’un de l’autre. »
* extraits de La Ferme des Animaux, de George Orwell, traduit de l’anglais par Philippe Jaworski
La Ferme des Animaux
d’après George Orwell ; mis en scène par Youssouf Abi-Ayad ; proposé dans le cadre de la saison culturelle de TernoisCom
Samedi 2 juillet à 19h
Ferme Dequidt, 18 rue d’Hesdin, Boubers-sur-Canche
À partir de 10 ans. Tarif : 5 euros