« Il suffira d’une crise politique, économique et religieuse pour que les droits des femmes soient remis en question. » Simone de Beauvoir avait prévenu ; Claudine Nougaret ne l’a pas oublié. Plus que la productrice, c’est aussi la militante qui est venue présenter en avant-première le film Riposte féministe au cinéma le Régency : un documentaire racontant le mouvement des “colleuses”, des jeunes femmes qui affichent des messages féministes sur les murs des villes de France. « Dès le départ, il était très clair qu’on faisait un film engagé. On voulait laisser une trace de ce mouvement. C’est notre travail à nous, gens de cinéma, d’être des témoins de ce qu’il se passe dans la société française. On ne pourra pas nous dire que ça n’a pas existé », répète Claudine Nougaret, qui a elle-même connu les luttes féministes et la lutte contre le patriarcat : « J’étais comme ces colleuses quand j’avais 17 ans, je faisais partie des mouvements autonomes. C’est pour ça que le film a été possible, parce que je sais de quoi elles parlent. J’ai été la première femme ingénieure du son dans le cinéma français. J’ai fait un métier d’homme, où on me disait qu’à partir du moment où les femmes arrivaient, le métier allait se dévaloriser. J’en ai vu des vertes et des pas mûres. Ça fait longtemps que je voulais faire un film sur les femmes. Le cinéma français est extrêmement misogyne et machiste. »
C’est en participant à une manifestation avec les réalisateurs Marie Perennès et Simon Depardon que leur est venue l’idée de filmer ces jeunes activistes aux six coins de l’hexagone : « Au cours d’un rassemblement contre les violences faites aux femmes et contre la nomination de Darmanin, une jeune femme a demandé à l’assemblée de lever la main si on avait été victime de violences sexuelles. Il y avait cinq cents personnes et plus des trois quarts ont levé la main. C’était incroyable, on est partis de là tous les trois, convaincus qu’il fallait qu’on fasse quelque chose. Marie était colleuse, elle a commencé à contacter des groupes à travers la France. » Le tournage s’est déroulé entre mars et octobre 2021, dans dix villes, grandes comme petites, essentiellement les week-ends, de nuit, quand les jeunes militantes sortent pour se réapproprier la rue, entre chiens et loups. « C’était important de le faire vite, car les collages pouvaient s’arrêter, ce mouvement pouvait disparaître. Ce sont des petits groupes autonomes dans toute la France. À notre grande surprise, on s’est aperçus qu’il y en avait aussi dans de petits villages : Gignac, ce n’est pas plus grand que Saint-Pol. On a commencé à tourner le jour de la manifestation pour le droit des femmes, le 8 mars. » Un an plus tard, Riposte féministe était présenté au Festival de Cannes, l’occasion d’afficher sur le tapis rouge les noms des cent vingt-neuf victimes de féminicides depuis le précédent festival.
Dans la salle du Régency, parmi la cinquantaine de spectateurs venus assister à l’avant-première, une poignée de jeunes femmes. L’une d’elles ose prendre la parole : « Le film est très représentatif des collectifs. J’en suis beaucoup sur Instagram et j’ai à cœur de les repartager sur mes réseaux. C’est important de faire ce genre de film pour montrer aux personnes qui ne sont pas de notre génération que ça existe, qu’il y a des femmes qui se battent tous les jours pour dénoncer ces violences. Le film a été fait en 2021 et on est déjà cette année à cent quatre féminicides. Chaque année, on remet le compteur à zéro. » Claudine Nougaret suit également ce décompte macabre : « On peut même dire que d’ici Noël, il y en aura vingt de plus. » En effet, l’avant-première s’est déroulée le 30 octobre et, en ce 1er décembre, le chiffre a grimpé à cent vingt-et-une femmes tuées par leur conjoint ou ex-conjoint. Pour illustrer ce phénomène systémique, les documentaristes ont posé leurs caméras à Amiens, lors d’un hommage à Manon, poignardée par son compagnon : « À chaque fois que j’entends la maman dire “Manon est morte de dix sept coups de couteau”, je suis glacée. Le type qui a tué sa fille s’est suicidé en prison, il n’y a pas de procès, pas de réparations. Ces gens sont dans une situation où ils n’ont pas un rond, ils ont dû payer des frais d’avocat incroyables… C’est la double peine, les familles sont complètement démunies. C’est vraiment un truc sur lequel il faut réfléchir : qu’est-ce qu’il se passe après pour les familles, les enfants? » Consciente des tragédies, Claudine Nougaret veut néanmoins délivrer un message d’espoir au travers de son film : « Bien sûr, il y a encore du chemin, mais je suis quelqu’un de plutôt positif. Déjà qu’on ait pu faire ce film, c’est très positif. L’idée n’était pas de faire quelque chose d’exhaustif sur le féminisme, mais de capter une photographie de ce mouvement de jeunes femmes à un moment donné. Il y a un côté très joyeux, très festif dans le film et à la fois très émouvant. Cet engagement qui est montré à l’écran est possible, on peut avoir de la sororité, on peut dire que l’occupation de l’espace public est réservée aux hommes, on peut dire tout ce qui nous passe par la tête, que souvent on n’ose pas dire : elles, elles le disent. Et ça, ça fait du bien. »
-> Riposte féministe à voir (absolument) au Régency
-> Retrouvez notre chronique du film : Riposte féministe, les colles des femmes