L’équipe du Régency rallume son enseigne, à défaut de son projecteur, pour que la culture ne soit pas oubliée

Comme prévu, le 15 décembre, le cinéma Le Régency a rallumé son enseigne et rouvert ses portes, mais sans spectateurs : « On a travaillé durant trois semaines dans l’ombre pour finalement apprendre, quatre jours avant, qu’on ne pourrait pas ouvrir. Ce couperet qui tombe ainsi, lors d’une conférence de presse, c’est ultra-violent. La culture n’est pas oubliée, elle est piétinée », peste Laurent Coët. Le directeur du Régency est amer, un peu abattu, mais pas résigné. Avec ses deux acolytes du Régency, il a tenu à s’associer au mouvement national du 15 décembre des acteurs de la culture : « Aujourd’hui, deux mille cinq cents cinémas ont allumé leur enseigne symboliquement, pour retrouver leur place dans la cité, montrer qu’ils existent toujours. À chaque fois qu’on sera là, on mettra de la lumière, même si on ne peut pas projeter de films. » D’ailleurs, sur les murs du Régency, les affiches optimistes annonçant « On vous retrouve bientôt » ont cédé leur place à d’autres sur fond rouge – « le rouge, c’est la couleur du sang, des indiens, c’est la couleur de la violence ! » – barré d’un « PAS ESSENTIELS ? », en lettres capitales, comme la culture.

« On nous empêche d’accueillir soixante-dix spectateurs alors que des centaines de personnes peuvent se presser chez Ikéa. »

Laurent Coët, directeur du cinéma Le Régency de Saint-Pol-sur-Ternoise

Cette fois, aucune date de réouverture n’est annoncée sur les affiches qui invitent les passants à prendre soin d’eux, de leurs proches et de respecter les gestes barrières : « On ne remet pas en cause la situation sanitaire, la priorité est évidemment la santé. Mais rien ne justifie de maintenir les cinémas fermés, aucune étude ne le motive. Ou alors, qu’on nous démontre qu’il existe un risque tellement important qu’il serait dangereux de rouvrir les salles. On a eu les protocoles sanitaires les plus strictes, on a respecté toutes les mesures, on a été exemplaires. Aujourd’hui, on nous empêche d’accueillir soixante-dix spectateurs (NDR : la moitié de la capacité de la salle du Régency) alors que des centaines de personnes peuvent se presser chez Ikéa. La culture est le seul secteur dont la reprise a été conditionnée à des objectifs sanitaires. On subit les décisions sans les comprendre. » L’année est donc terminée pour le petit cinéma du Ternois, qui aura évidemment vu sa fréquentation s’effondrer, après avoir enchaîné les records et dépassé les 40 000 entrées en 2019 : cette année, 13 500 spectateurs seront venus au Régency, malgré sept mois de fermeture et quatre mois de restrictions. De plus, la crise sanitaire a entraîné le report, voire l’annulation, de nombreux films très attendus. Néanmoins, si la question de la programmation s’était posée au mois de juin, ce n’était pas un sujet cette fois : « Dix-huit films auraient dû sortir cette semaine, sans parler de ceux dont la diffusion a été interrompue. Comme on n’a qu’un seul écran, on en avait au moins pour huit semaines de programmation. On aurait eu du public, même si on ne peut pas dire à quelle hauteur, mais le mois de décembre est celui où le cinéma est le plus fréquenté. »

« Il existe toujours un cinéma près de chez soi. Dans certains territoires, c’est le seul accès à la culture. »

Laurent Coët, directeur du cinéma Le Régency de Saint-Pol-sur-Ternoise

Au-delà des chiffres, ce report sine die de l’ouverture des lieux culturels interroge sur la place des arts dans la société : « On ne peut pas revendiquer l’exception culturelle française et la faire à l’envers à ses acteurs. Le cinéma a été inventé en France, nous avons un maillage territorial comme nulle part ailleurs : il existe toujours un cinéma près de chez soi. Dans certains territoires, c’est le seul accès à la culture, on peut y voir des comédies populaires ou des Palmes d’or. Les spectateurs ne sont pas des consommateurs. Beaucoup nous ont envoyé des messages de soutien, certains sont révoltés par la situation, d’autres nous ont dit qu’on leur manquait. On a une relation unique avec eux, ils font partie de nos vies. » En attendant d’imprévisibles retrouvailles, les acteurs du Régency se reconvertiront en gardien de phare et rallumeront dès que possible l’enseigne du cinéma, pour témoigner qu’ils sont toujours là et qu’ils le seront toujours. Contrairement à Dalida, eux veulent vivre derrière les projecteurs.

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