« À notre santé et à la liberté ! » Ils sont une petite dizaine ce samedi matin, dans un coin de la place Lebel de Saint-Pol, à trinquer au thé ou au café, assis par terre, sur une borne ou une chaise de camping. L’idée de ce « café éphémère » a été imaginée par Michel Feutry : « Je ne peux plus fréquenter les bistrots à cause du pass sanitaire. Se retrouver ici, c’est la seule façon pour moi de partager un moment avec d’autres dans l’espace public. » Le Saint-Polois a lancé une invitation sur sa page Facebook, dans une publication privée, et souligne qu’il ne s’agit pas d’une manifestation. Néanmoins, la démarche vise à dénoncer la mise en place du pass sanitaire : « Je suis allé deux fois aux manifestations à Arras, mais la présence des identitaires me dérange : même s’ils sont ultra-minoritaires, ils sont très visibles. » Un constat qui confirme les craintes de Sarah : « J’ai hésité à aller manifester car je n’ai pas envie de me retrouver avec l’extrême-droite. » Alors, elle a rejoint ce “café éphémère” pour souligner sa désapprobation à cette mesure : « Refuser le pass sanitaire, c’est autre chose qu’être contre la vaccination. C’est avant tout politique. Lorsqu’on veut organiser des événements avec la population, ça reste difficile de dire qu’on est contre le pass sanitaire. Dans les spectacles, on pourrait avoir des espaces pour s’exprimer, dire ce qu’on pense, mais ce n’est pas vraiment le cas : je trouve que ça manque, les organisateurs ne prennent pas ouvertement position sur le sujet. »
« Les gens ne se font pas vacciner pour se protéger, mais pour pouvoir sortir. »
Eric, son compagnon, lui-même dans le monde du spectacle, dresse le même constat : « Dans les espaces culturels, qui peuvent être des lieux de discussion, le pass doit être appliqué, sinon les événements ne peuvent pas avoir lieu. Certains jouent avec les règles, mais ne l’affichent pas. » Ainsi, puisque les organisateurs ne doivent – et ne peuvent – pas contrôler l’identité des participants, il n’est pas rare que certains utilisent le QR Code d’autres personnes. Avec d’autres acteurs du monde culturel, Eric envisage de pousser le système dans ses retranchements, en organisant un événement sans exiger le pass sanitaire : en cas d’interdiction, ils intenteraient une action devant la justice, en espérant qu’elle leur donne raison. Certains tribunaux ont d’ailleurs déjà suspendu des arrêtés préfectoraux imposant l’usage du pass sanitaire dans des centres commerciaux : « C’est bancal au niveau juridique, des recours ont été lancés », souligne Michel, pour qui il n’est d’ailleurs pas question de tricher : « Même si j’étais vacciné, je n’utiliserais pas le pass. C’est totalement aberrant de se soumettre à un truc qui ne sert à rien. La mise en place du QR code, c’est un choix politique, pas sanitaire. On est dans une société de contrôle social, je me demande ce qu’ils vont inventer à l’avenir pour maintenir ce contrôle. Les gens ne se font pas vacciner pour se protéger, mais pour pouvoir sortir. »
« C’est une mesure très perverse, ça clive la société, ça dresse les gens les uns contre les autres. »
L’initiateur du “café éphémère” souligne d’ailleurs les incohérences de la mesure : « Je me suis rendu à un enterrement : le pass sanitaire n’était pas exigé pour aller à l’église, mais il l’était pour la réception qui suivait dans la salle des fêtes. » « À l’église, on doit être protégés par le seigneur, ironise Claude. Je vais bien finir par me faire vacciner, si je veux reprendre les répétitions avec ma troupe de théâtre. C’est une mesure très perverse, ça clive la société, ça dresse les gens les uns contre les autres. » « On en a tellement marre d’être pointés du doigt », peste Michel, avant de proposer une tournée de jus de fruits à ses invités, qui envisagent de se retrouver à nouveau. En tout cas, Claude y est favorable : « C’était sympa. On remet ça la semaine prochaine ? »