Saint-Pol : Thierry Pagerie dénonce avec humour la violence faite aux commerces “non essentiels”

« À force d’entendre que nous sommes “non essentiels”, les gens vont finir par nous oublier. Ce lapin, c’est la seule façon d’exister, de montrer qu’on est toujours là. » La Boutique du Ternois a dû fermer ses portes pour la troisième fois depuis un an, comme nombre des petits commerces – dans le Pas-de-Calais plus qu’ailleurs. Pourtant, Thierry Pagerie est derrière son comptoir, chaque jour – sauf le mardi, aux horaires habituels. Jamais à court d’idées, il s’est mis en tête d’installer sur son pas de porte un grand lapin rose portant une pancarte : « Commerce “non essentiel”, je vous souhaite de joyeuses Pâques ». Pour le 1er avril, il a accroché de petits poissons et a rédigé un nouveau message : « On arrête quand les blagues ? » Le ton est léger mais témoigne de l’exaspération du commerçant : « Je peux me permettre de faire un peu d’humour parce que j’ai encore le moral. J’ai la chance de pouvoir rester en action, de continuer à travailler grâce à Internet. Mais je pense à tous mes collègues pour qui c’est encore plus compliqué. Je ne suis pas en colère, je comprends que des mesures doivent être prises, mais ce qui me choque, c’est la violence des mots. Nous dire qu’on est “non essentiel”, c’est ultra violent, je ne l’accepte pas. »

« Le virus ne circule pas plus ici que chez un boulanger ou un boucher, et sûrement moins que dans les grands magasins. »

Thierry Pagerie de la Boutique du Ternois

La Boutique du Ternois a dû fermer ses portes à chaque confinement, pourtant les articles de chasse et de pêche peuvent toujours être achetés dans d’autres magasins restés ouverts. Facétieux, Thierry s’est fendu d’un coup de fil au magasin Gamm Vert d’Herlin-le-Sec et a constaté qu’il était toujours possible d’acheter de quoi pêcher ou chasser (NDR : les rayons sont néanmoins fermés dans le magasin). « Ça, par contre, je ne comprends pas et ça me fout en colère. On est complètement stigmatisés, on ne mérite pas ça. Le virus ne circule pas plus ici que chez un boulanger ou un boucher, et sûrement moins que dans les grands magasins. Dans ma boutique, j’accueille vingt, peut-être trente personnes par jour en cette période. Je suis content pour ceux qui ont la chance de rester ouverts, mais nous, on est les dindons de la farce. On sert de marchepied au gouvernement qui veut montrer qu’il prend des mesures. On demande juste à pouvoir travailler normalement. » Heureusement pour Thierry et ses deux salariés, ils n’ont pas attendu la crise sanitaire pour se lancer sur Internet, qui représentait déjà la moitié de son activité ces dernières années. Évidemment, les achats en ligne ont pris encore plus de place qu’auparavant : « Certains clients ont commandé sur notre site pour la première fois à cause du confinement et ont vu que ça marchait bien. De nouvelles habitudes vont être prises, la vie d’après ne sera plus pareille au niveau commercial. Nous, on travaille bien parce que ça fait dix ans que notre site existe, on a eu le temps d’apprendre. Pour ceux qui veulent se lancer, ce n’est pas si simple, c’est beaucoup de travail de faire vivre un site. Un indépendant ne peut pas le faire tout seul. Le “click & collect”, c’est le pourboire du commerçant. Il faut vendre sur Internet et en boutique, les deux sont importants, mais en ce moment, on ne marche que sur une jambe. On est en train de tuer les centres-villes. »

« L’État nous traite de “non essentiels”, mais quand il faudra nous réclamer les impôts, la TVA, on sera incontournables.

Thierry Pagerie de la Boutique du Ternois

L’armurier est néanmoins ravi de pouvoir accueillir et servir quelques clients à la porte, pour des retraits de commandes, mais a tout de même perdu une bonne part de son chiffre d’affaires, d’autant que son activité est par définition saisonnière : « En ce moment, c’est la période de pêche mais je ne vends quasiment rien. C’est aussi la saison du ball-trap normalement. Évidemment, depuis un an, le rayon fête fait un bide. Tout ça, c’est du chiffre d’affaires qu’on ne récupérera jamais. » Malgré les fermetures successives, Thierry et ses deux salariés ont donc poursuivi leur activité, sans la  moindre aide ou compensation de l’État – en dehors du chômage partiel nécessaire pour qu’une salariée puisse s’occuper de ses enfants, suite à la fermeture des écoles. « Aujourd’hui, je vis grâce à mon activité sur Internet. On ne coûte rien à l’État qui nous traite de “non essentiels”, mais quand il faudra nous réclamer les impôts, la TVA, on sera incontournables. Je dois payer mon loyer, mes charges et surtout mes fournisseurs. Je ne vais pas dire à mon propriétaire que je ne vais pas le payer à cause de la crise, lui aussi doit gagner sa vie. L’État demande aux propriétaires de ne pas faire réclamer de loyer aux commerçants, c’est scandaleux : ce sont souvent des particuliers qui gagnent leur vie grâce à ça. » Dans ce marasme général, Thierry Pagerie réussit à maintenir son activité à flot, mais il veut interpeller la population et montrer sa solidarité avec les autres commerçants. Les dernières annonces présidentielles ont repoussé d’au moins deux semaines la perspective de réouverture, ce qui devrait donner lieu à d’autres messages sur la vitrine de la Boutique du Ternois. L’armurier ne manque pas d’inspiration et a un autre atout pour garder le moral : « J’espère que Lens va battre Lyon samedi ! Une victoire de Lens, c’est une bouffée d’oxygène pour toute la région. Imagine, si en plus du confinement et de tout le reste, j’étais supporter de Nantes ou de Dijon ! »


La Boutique du Ternois
15 rue des Carmes, 62130 Saint-Pol-sur-Ternoise
Contact : 03.21.03.01.85
http://laboutiqueduternois.com/fr/


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