Article de Mélanie Hoguet, à retrouver dans le magazine du Gobelin n°5 sur l’espace public.
En 2024, quand on parle d’accessibilité pour les personnes à mobilité réduite, on entend facilement : « Ça va, maintenant ! », « Ça a évolué ! »… On en parle ? Étant en fauteuil roulant depuis presque dix-neuf ans, j’ai bien sillonné certaines rues de France (mais pas de Navarre) et donc vécu de nombreuses mésaventures face au mobilier urbain pas toujours très adapté aux roues… Voici un aperçu des difficultés rencontrées et, Gobelin du Ternois oblige, surtout à Saint-Pol-sur-Ternoise.
Quand la mise en accessibilité crée de nouveaux obstacles…
Pour l’un des plus grands inconforts des gens en fauteuil roulant (et probablement aussi des enfants en poussette, bien sûr), on y trouve des pavés. Alors, lecteurs, vous me direz : « Les pavés sont surtout sur la route, or une personne en fauteuil roulant n’a pas à emprunter la route, elle n’a qu’à rester sur le trottoir. » Et je vous répondrai : « Élémentaire, mes chers Watson ! Mais si une voiture est mal garée sur le trottoir rue du Pont Happlain – entre la place Louis Lebel et la rue des Procureurs (j’avoue, j’ai appris ce nom de rue en écrivant cet article) – ou rue des Procureurs et si on veut aller vers la rue d’Aire, on n’a pas d’autre choix que de descendre du trottoir et de se taper les secousses produites par les pavés (historiquement importants, peut-être, mais carrément chiants, c’est sûr !) ». Maintenant, descendons la rue des Procureurs depuis l’EHPAD, en empruntant le trottoir de droite (celui de gauche étant trop étroit pour y circuler en fauteuil). Avant, il fallait calculer pour se glisser entre les marches qui menaient à la Maison du Département et les barrières de sécurité au bord du trottoir. Depuis un moment, il y a une nouveauté « amusante ». En effet, au moment de démarrer les travaux de construction d’un nouveau bâtiment, quelqu’un n’a eu d’autre idée lumineuse que de faire une rampe qui occupe toute la largeur du trottoir (probablement pour permettre à ceux qui empruntaient l’ascenseur dans la cour de toujours pouvoir entrer dans le vieux bâtiment). En lisant ceci, certains diront : « Ici, on marche sur la tête ! Quand ce n’est pas accessible, on râle et quand c’est rendu accessible, on râle aussi ! » Le problème n’est pas l’accessibilité du bâtiment, mais plutôt le nouvel obstacle qui a été créé par la même occasion : si une personne en fauteuil roulant veut descendre la rue en restant sur le trottoir, elle emprunte donc la toute nouvelle rampe et se retrouve coincée en haut (à moins qu’elle ne soit suicidaire et qu’elle continue d’avancer, évidemment…). Pourquoi ? Parce que la fameuse rampe se termine par un petit escalier ! Quelle solution reste-t-il ? Demander à un sorcier de pointer sa baguette magique vers le fauteuil et de formuler « Wingardium Leviosa » pour le soulever de terre et le poser délicatement en bas des marches. Ou, plus simplement – et si on n’a pas d’ami qui est allé à Poudlard, ou à une autre école de sorcellerie, sous la main – faire demi-tour, descendre sur la route et être secoué comme jamais (puisque, si vous avez lu le paragraphe précédent correctement, vous savez que cette rue est en partie pavée…). Espérons que, une fois les travaux du nouveau bâtiment terminés, cette rampe disparaîtra ! En tout cas, je n’ai pas encore testé la nouvelle entrée, mais elle a l’air prometteuse…
Il y a aussi les places de parking pour PMR sur la place devant la mairie (à quelles places fais-je référence Il n’y en a pas devant la mairie ? Un peu de patience…) qui, une année, ont servi d’emplacement pour le sapin de Noël (Noël, période enchantée pour les enfants, mais, apparemment, en priorité pour les enfants valides…). Ces places ont fini par être séparées, puisqu’à une époque, il n’en restait plus qu’une. Cette dernière s’est vu rétrécir en largeur, avant, elle aussi, de disparaître. Vous êtes à la recherche d’une nouvelle place ? Il y en a désormais une à l’arrière de la mairie (donc plus loin de la porte d’entrée), mais en haut d’une grosse bordure de trottoir (comme si, en plus de surveiller l’état de nos pneus de fauteuil, on pouvait se permettre d’user davantage nos pneus de voiture)… Quoi d’autre ? Parlons des gens mal garés. Sur les places réservées aux détenteurs d’une carte de stationnement (sujet dont le film génial d’Artus, Un p’tit truc en plus, traite avec insistance, en disant tout haut ce que tout le monde pense tout bas – en un peu plus vulgaire quand même, peut-être !) ou sur les trottoirs et même ceux qui sont marqués d’une ligne jaune (comme au niveau du presbytère, rue du Pont Simon). Je vous rassure, jusqu’à maintenant, les gens pris en « flagrant délit », alors que j’arrivais pour me rendre à la permanence de la paroisse un mercredi matin, ont toujours accepté de bouger leur voiture. Ouf ! Ce qui n’a pas été le cas, un jour de pluie, à Samer, lorsque, descendant une rue avec ma mère et ma sœur, mon chemin a été barré, sur le trottoir, par une personne sans scrupule (et ce malgré nos complaintes et celles de témoins qu’elle avait aussi outrés), m’obligeant à m’arrêter et à attendre que madame ait fait ce qu’elle avait à faire au bureau de poste. J’ai avancé mon fauteuil le plus possible jusqu’à sa voiture (à la limite de toucher sa carrosserie) et, lorsqu’elle est ressortie, j’ai refusé d’obéir à ma mère qui m’a dit : « Tu devrais peut-être reculer, sinon elle va t’accrocher. » Résultat : cette dame a dû manœuvrer pour repartir ! Mais, dans quel monde vit-on ? Je n’allais quand même pas m’abaisser à la laisser passer « facilement », alors qu’à cause de son manque flagrant et honteux de respect, on avait perdu du temps et on était trempées, si ?!
Que dire des dos d’âne qui « fleurissent » un peu partout ? Au-delà du fait qu’ils secouent brutalement, car ils sont souvent hors normes, et qu’ils peuvent abîmer le châssis des voitures décaissées qu’utilisent les personnes en fauteuil roulant, je tiens à signaler qu’ils ne sont pas toujours pratiques non plus quand on se promène en fauteuil dans les rues. Je fais notamment référence à celui qui a été ajouté au milieu de la rue du Pont-Simon et qui est certainement bien utile pour faire traverser les jeunes de l’Ensemble scolaire Sainte-Anne – Saint-Louis (si ceux-ci respectent le code de la route, bien sûr), mais beaucoup moins pour les gens en fauteuil roulant : la seule fois où je l’ai pris pour traverser la rue, je suis restée coincée à cause du dénivelé au niveau du trottoir et, si j’avais été seule à ce moment-là, sans personne pour soulever le porte-bagage de mon fauteuil de l’époque, je vous laisse imaginer mon désarroi !
Il y a aussi ces trottoirs trop étroits pour y circuler ou ces trottoirs non décaissés qui, si on ne les connaît pas, obligent à refaire à l’envers la distance parcourue sur le trottoir depuis le dernier passage pour piétons, descendre sur la route et revenir sur ses pas (ou sur ses traces de pneus, si vous préférez) jusqu’à l’extrémité problématique pour poursuivre son chemin, comme au niveau de la boutique d’informatique au croisement de la place du Maréchal Leclerc et de la rue des Procureurs, où sont cumulés ces deux inconvénients. Il paraît aussi que, dans les églises, c’est « Venez comme vous êtes », mais, parfois, il faudrait préciser « sauf si vous êtes en fauteuil roulant électrique »… En effet, certaines églises ne sont pas accessibles (j’ai commencé une liste pour les répertorier). Celle de Saint-Pol ne l’est que depuis quelques années. Jusque-là, mon père avait fabriqué une rampe en bois pour que je puisse passer l’unique marche gênante, rampe qui était stockée dans un confessionnal au fond du bâtiment et qui, ironie de la chose, alors que la ville ne faisait pas d’effort pour rendre l’église accessible, servait aussi lors d’événements publics comme des concerts pour permettre d’accueillir d’autres spectateurs handicapés (genre « On a tout prévu ! »)…
Contrainte de faire une prise de sang sur le trottoir et sous la pluie
Bien sûr, il n’y a pas que Saint-Pol-sur-Ternoise qui est problématique pour l’accessibilité, il y a aussi Hesdin où beaucoup de bordures de trottoir sont trop hautes, les zones pavées trop nombreuses… ou, plus loin du Ternois, Paris, évidemment, qui – et je me demande comment – accueille pourtant les Jeux paralympiques cet été… Par ailleurs, voici une idée qui m’est venue à l’esprit en écrivant cet article. Ceux qui ont l’habitude d’utiliser un GPS pour voyager connaissent les options « sans autoroute », « sans péage » et « sans ferry » (petite pensée pour ma sœur !), mais je suggère qu’une option soit créée pour les déplacements à pied qui nécessitent l’utilisation d’un GPS : « sans marche » ou « sans bordure ». Cela aurait été bien utile à mes parents et moi, ce jour de décembre 2016, où, lors de notre séjour à Londres, ayant décidé d’aller voir la relève de la garde sur le Mall jusqu’à Buckingham Palace, nous avions quitté l’hôtel et suivi l’itinéraire proposé par mon téléphone portable. Jusqu’à arriver en haut d’un très grand escalier qui m’empêchait d’aller plus loin… Que faire ? Nous sommes partis à l’aventure, à la recherche d’un chemin sans marche. Après un détour de trois jours (au moins…), nous avons fini par arriver à destination. Toutes ces anecdotes ne concernent que le domaine public, mais n’oublions pas les cafés et restaurants accessibles uniquement l’été, quand une terrasse est installée (comme si les personnes handicapées n’avaient le droit de sortir qu’au-dessus d’une certaine température), ou les établissements qui, malgré des demandes répétées, ne sont pas accessibles : eh oui, le laboratoire m’a quand même déjà obligée à faire une prise de sang sur le trottoir et sous une pluie fine et le musée m’a privée d’une exposition sur Harry Potter, alors que je suis déjà allée « partout » pour ça, à Paris, Bruxelles et même Londres ! Bref, il y a encore des progrès à faire !