Une promenade complètement folle sur la piste de la Bête d’Auxi

Deux jours qu’un « grand félin » affole les médias et pas un mot dans le Gobelin : après tout, je n’ai aucune info particulière sur le sujet. Autant aller voir sur place ce que ça donne et peut-être que la sérendipité mettra la Bête sur mon chemin. En voiture, direction Auxi, en gardant un œil sur la route et en jetant l’autre à l’entour, avec la bande-son de circonstance : The Hunt de Sepultura, puis la toute aussi bonne version originale de New Model Army. Le volume couvre le bruit des machines agricoles qui tournaillent dans les champs, dissuadant sans doute la Bête de sortir à découvert. Aux dernières nouvelles, elle a été repérée ce matin à Ligny-sur-Canche et les gendarmes ont bouclé le périmètre jusqu’à Vacquerie-le-Boucq. À l’heure du thé, les patrouilles ont disparu, aucune présence militaire n’est visible au sol ni dans le ciel. Pour rejoindre l’épicentre du phénomène, autant passer par les villages : Ligny, Fortel, Boffles, Rougefay, Buire… Tout est calme. Trop calme ? Non, tout est normal en fait. Les bus scolaires déposent les enfants qui rentrent chez eux, à pied, inconscients de la menace qui rôde.

« C’est pas le moment d’aller se promener dans les bois, vaut mieux pas ! »

Une fois à Auxi, je parcours la rue principale, lorsque soudain, j’aperçois la robe tachetée d’un léopard sur les épaules d’une dame : tant qu’elle continue à discuter sur le trottoir avec ses amis, elle n’encourt pas de risque, mais elle devrait éviter d’errer dans les bois avec ce genre de camouflage. Pour mesurer l’angoisse qui doit étreindre la population, direction le Saint-Martin, en plein centre-ville. En sus du tenancier, un client suit les courses hippiques à table et un autre est accoudé au bar. Mon œil aiguisé repère immédiatement la pompe à bière qui propose de la « Tigre bock » : la piste est fraîche. « C’est d’actualité en ce moment », s’amuse le cafetier en servant la mousse. « Comment on sonne un tigre ? Ce n’est pas comme un sanglier ! Mieux vaut le voir avant qu’il te voit. Et faut avoir du gros calibre ! », analyse un client chasseur, qui craint surtout qu’on lui interdise de sortir son fusil tant que vadrouille le mystérieux animal. D’après les premiers éléments qui ont circulé, il pouvait s’agir d’un jeune lion, d’une lionne ou d’un tigre, mais une nouvelle information tombe sur Twitter : ce serait en fait un puma. « C’est pas le moment d’aller se promener dans les bois, vaut mieux pas ! », remarque un fumeur venu reconstituer son stock. Il rapporte que la Bête viendrait de chez un particulier d’un village voisin : pour l’instant, ce n’est qu’une rumeur parmi d’autres. En revanche, les dernières infos annoncent que des traces auraient été repérées sur la voie verte. Je décide de reprendre la route, en suivant le chemin de randonnée.

« J’ai pris un couteau quand je suis sorti promener mon chien. Il est tout petit, il se ferait dévorer. »

En traversant Nœux-les-Auxi, je découvre que le village dispose d’un bistrot, qui arbore de surcroît un autocollant du RC Lens : « Vous êtes de la police de l’environnement ? », me lance le patron en voyant ma veste et ma casquette kaki. Je saisis la perche et relance le sujet du moment, annonçant que la Bête serait en fait un puma. « Pour moi, c’est juste un gros chat. Ça n’a pas une tête de lion », commente un client. Ce n’est pas la présence d’un fauve qui va troubler la partie de cartes endiablée qui passionne les habitués du lieu. Pas de panique non plus dans les pâtures où les vaches et moutons paissent sans se douter de la menace qui vadrouille à quelques mètres d’eux, derrière les arbres qui bordent la voie verte. Avant d’arriver à Frévent, je m’arrête dans un espace découvert, à bonne distance de l’ancienne voie ferrée, pour évacuer la Tigre, en écarquillant les yeux et les oreilles. Je remonte en voiture fissa et tente une dernière investigation chez un buraliste du centre-ville. Au bar, la traque alimente la conversation et l’imaginaire : « J’ai pris un couteau quand je suis sorti promener mon chien. Il est tout petit, il se ferait dévorer », raconte un habitant de Ligny, qui a pris sa voiture pour retrouver ses copains de bistrot. Ces derniers se perdent en conjectures : « Il doit commencer à avoir faim, il y a de quoi faire dans le coin avec les lapins et les poules », « Non, un puma s’attaque aux gros animaux qui courent moins vite. » Pendant que les clients partagent leurs connaissances zoologiques, le bouledogue de la maison monte la garde à l’entrée. Rien à signaler ce soir dans le centre-ville de Frévent. Ni sur la route du retour, aux abords de la voie verte.


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