« On ne découvre que maintenant beaucoup de choses sur la Deuxième Guerre Mondiale, on ne savait pas que des prisonniers étaient venus jusqu’ici », rapporte Zhanna Agalakova en arpentant le blockhaus de Siracourt, construit par ses compatriotes. Journaliste pour la principale chaîne de télévision russe, elle a été dépêchée avec son caméraman – et mari – Giorgio Savona, pour une série de reportages dans le Pas-de-Calais sur la présence de Soviétiques durant la Seconde Guerre mondiale.
« La plupart des prisonniers de guerre travaillaient dans les mines de charbon mais plusieurs centaines ont été affectées à l’organisation Todt. »
Jacques Kmieciak, journaliste et historien
La Russie célèbre le soixante-quinzième anniversaire de la fin du conflit et plusieurs commémorations étaient organisées dans le bassin minier, à Hénin-Beaumont, Méricourt et Fouquières-les-Lens, mais la journaliste souhaitait aussi montrer plus que des cimetières et des stèles. Le blockhaus de Siracourt est un vestige témoignant de la présence soviétique dans la région. « Ici, nous sommes dans le Ternois, en bordure du bassin minier. La plupart des prisonniers de guerre travaillaient dans les mines de charbon mais plusieurs centaines ont aussi été affectées à l’organisation Todt pour diverses constructions », explique, face caméra, Jacques Kmieciak. Journaliste, historien et militant communiste, il insiste sur le rôle de l’Union Soviétique lors de la Seconde Guerre mondiale : « Si le débarquement a pu avoir lieu en Normandie, c’est parce que les Soviétiques marchaient sur Berlin sur le front de l’Est. A Hénin-Beaumont, Vasily Porik était à la tête d’un bataillon de résistants qui a réalisé près de trois cents actes de résistance et de sabotage. C’est sublime de voir que des étrangers se sont battus pour libérer la France du nazisme, alors que la majorité des Français collaboraient avec le régime de Pétain. » Le nom du résistant ukrainien est inscrit au mur des fusillés d’Arras et un monument a été érigé en sa mémoire par l’URSS en 1968 à Hénin-Beaumont. En revanche, les centaines d’anonymes qui sont passés à Siracourt ont été oubliés.
«Des prisonniers russes qui étaient hébergés dans un camp à Croix-en-Ternois ou dans le bois de Ramecourt. »
Zélie Duffroy, historienne
Seule une plaque à l’entrée du site rappelle laconiquement : « Ici, sous l’occupation nazie, ont souffert des prisonniers soviétiques dont beaucoup ont péri pour la Liberté. » Peu d’informations sont disponibles à leur sujet, même l’érudite historienne locale, Zélie Duffroy, n’a que de vagues éléments, tirés de l’ouvrage de Yannick Delefose, V1, arme du désespoir : « La construction du site a débuté à l’été 1943 et il a été découvert par les alliés en octobre de la même année. Le chantier accueillait environ mille deux cents ouvriers, dont des prisonniers russes qui étaient hébergés dans un camp à Croix-en-Ternois ou dans le bois de Ramecourt. » Mais rien sur le nombre exact de prisonniers soviétiques ou leur sort après que les alliés ont abandonné le site de Siracourt en juin 1944.
« Toutes les familles russes ont été touchées. Dans la mienne, personne n’en est revenu. »
Zhanna Agalakova, journaliste russe pour Pervi Kanal
Pour la journaliste Zhanna Agalakova, cette histoire fait écho à celle de sa famille : « Vingt-sept millions de soviétiques sont morts durant la guerre, toutes les familles russes ont été touchées. Dans la mienne, personne n’en est revenu. Le père de ma mère a disparu et n’a jamais été retrouvé : les dernières informations indiquaient qu’il était dans un camp en France. » A défaut d’avoir pu trouver de nouvelles informations, la journaliste a pu partager avec ses compatriotes la mémoire des prisonniers soviétiques qui ont résisté, travaillé ou disparu en France avec un reportage diffusé sur la première chaîne nationale, qui revendique trente millions de téléspectateurs : l’histoire des prisonniers soviétiques de Siracourt est désormais plus connue en Russie que dans le Ternois où elle s’est déroulée.
De nombreux Russes travaillaient sur le chantier de Siracourt. Lors du bombardement du 25 juin 1944, les corps des russes tués furent ramenés dans l’église de Ramecourt, mais ils n’ont pas été enterrés là. D’après les Allemands, de nombreux corps seraient restés sous la partie affaissée de la visière du bunker (ils parlaient d’une centaine…).
Des abris furent créés dans la colline, à l’est du château de Ramecourt, pour les Russes et pour les Français. Certains de ces abris étaient de véritables labyrinthes.
Le camp allemand s’étendait tout autour du château : salle des fêtes dans le bâtiment à droite du château, nombreux baraquements dans le parc (coiffeur, cordonnier, tailleur, cuisine, etc). Les officiers logeaient au château, les soldats chez l’habitant.
Des femmes russes, le crâne rasé, étaient employées à l’entretien (et au “plaisir” des occupants). Elles rebouchaient les trous de bombes. Elles étaient logées dans le parc et dans le bois Bélieul.
Une cinquante d’enfants russes (de 12 à 17 ans) avaient été amenés là par les Allemands. Ils marchaient pieds nus (les habitants firent une collecte pour les chausser l’hiver). On les utilisait pour les corvées de “pluches”. Ils étaient logés avec les femmes.
Dans le bois du Bélieul, il y avait une allée forestière, presque perpendiculaire à la route. Tout le côté gauche était garni de baraquements, où logeaient environ cinq cents Russes travaillant à Siracourt. Le bruit a couru qu’il y aurait eu des fusillés, enterrés sur place. Cela semble peu probable car le camp était sous la direction de l’organisation Todt, et non de la Gestapo.
Témoignage de Pierre Allexandre
(revue Ternesia n°10, spécial 1939-1945)