Comment j’ai terminé une manche de la Coupe du monde de cyclocross de bistrots

« Tu vas faire du vélo à cette heure-ci ??? » Mon voisin n’est pas habitué à me voir debout si tôt. Il est tout de même neuf heures, mais on est dimanche et il caille sévère… « Je vais chez Tartous ! », que je lui réponds en chargeant mon VTT dans le coffre. En effet, je ne suis pas du matin, mais aujourd’hui, c’est le Ronde de Tartous ! Il fallait bien ça pour me tirer du pieu : prendre le départ de la première épreuve de Coupe du monde de cyclocross de bistrots !

Direction Monchy-Breton donc. Si les températures se sont effondrées au cours de la nuit, au moins, il ne pleut plus. Il est un peu plus de dix heures lorsque je me gare à quelques mètres du bistrot. La foule n’est pas encore présente, mais tout est installé pour accueillir cette quatrième édition. Les organisateurs ont installé les tonnelles sur le parking pour abriter le public, tendu des rubalises le long du parcours et placé des ballots de paille dans les virages stratégiques. Les bénévoles du Car Podium ont dressé la table des commissaires de course dans le fond du bar. En attendant mon tour, je constate que le sol a été recouvert d’un tapis pour éviter aux coureurs de glisser sur le carrelage. Dans la petite paillote, les platines sont installées et Ch’Poule s’évertue à faire les branchements pour que les DJ puissent envoyer du gros son tout au long de la journée. Avant toute chose, je dois signer une décharge : pas rassurant, mais qu’importe, je paraphe sans même lire le document. Les organisateurs me remettent mon dossard : je porterai le numéro 55 ! Ils m’invitent même à prendre une canette de Malteni – avec un beau maillot de champion du monde cycliste sur l’étiquette – de la brasserie Deplus, un des sponsors de l’événement et dont les deux brasseurs sont impliqués jusqu’au cou dans l’organisation de la CMCCB. Pas question de goûter le breuvage pour l’instant, je m’en tiens à ma gourde d’eau boostée au miel et au thermos de café pour me réchauffer. Je rejoins les premiers coureurs devant la porte de garage où est affiché le programme des courses : le tirage au sort m’a attribué la troisième manche VTT, avec sept autres concurrent-e-s. Il est alors temps de repérer le parcours : d’abord, remonter la rue de Saint-Pol, puis entrer dans une vieille ferme avec un virage en épingle pour revenir dans la rue et atteindre le champ enfermé entre deux routes. Je découvre le petit escalier confectionné par les organisateurs pour obliger les participants à descendre de selle et porter leur monture, avant de repartir dans la boue, puis remonter la bande herbeuse le long de la route pour enfin entrer dans le bistrot. Ça a l’air facile comme ça, mais mon objectif est simple : tenir jusqu’au bout !

À onze heures, la soixante-dizaine de concurrents est arrivée. Ceux ouvrant les festivités s’échauffent et se réchauffent en faisant des aller-retours sur le bitume. Les deux exaltés commentateurs, Patrick Chapatte et Jean-Paul Chaîne, s’invitent dans les enceintes et annoncent le départ imminent de la première manche. Les huit concurrents s’alignent sous les encouragements du public et Eric VanderdePoel ébranle la cloche sonnant le départ. Les coureurs s’élancent en groupe et disparaissent rapidement dans la cour de la ferme, avant de réapparaître en une file déjà dispersée, laissant entrevoir les compétiteurs et les courageux amateurs. Ils abordent la “partie technique”, le champ de boue qui n’est déjà plus praticable après les quelques tours de reconnaissance : il est quasiment impossible de rouler dans cette gadoue qui colle aux roues et les concurrents doivent pousser ou porter leur vélo en courant, en arrachant leurs pieds à la terre. À la sortie du champ, mon pote Benjamin est déjà bien distancé, mais je gueule son prénom à son passage alors qu’il rentre dans le bar, pour en ressortir quelques secondes plus tard et attaquer son deuxième tour. Les spectateurs en font autant, scandant les prénoms de leurs chouchous, tandis que les commentateurs se relaient pour détailler l’évolution de la course, prenant alternativement la parole en commençant par leur gimmick « Et oui, mon p’tit Jean-Paul…», « Et oui, mon p’tit Patrick… », à la manière de leurs modèles des grandes années de FR3. Les quatre premiers concurrents décrochent leur qualification sans forcer, tandis que Benjamin continue d’appuyer fort sur les pédales pour boucler son quatrième tour. Lui aussi était là avant tout pour le plaisir et le voir épuisé à l’issue de sa course ne me rassure pas sur ma capacité à en faire autant. Les manches s’enchaînent sans temps mort, alternant VTT et cyclocross. Il est temps pour moi de me préparer. Je retourne à ma voiture pour enfiler ma tenue, mes chaussettes et mon caleçon décorés de petits vélos – histoire de me porter chance, et un t-shirt « This is actually my first rodeo », lui aussi de circonstance. Alors que la plupart des coureurs sont équipés de la tête au pied, j’assume parfaitement d’en être un du dimanche.

Après quelques coups de pédales d’échauffement, je fends la foule sur mon VTT. Jean-Paul Chaîne et Patrick Chapatte appellent les concurrents, avec un petit mot pour chacun et le nom de “Pierre Vion” suscite les applaudissements de mes quelques supporters. Il est trop tard pour faire machine arrière. Eric Vanderdepoel sonne, je m’élance avec l’idée d’essayer de rester au contact aussi longtemps que possible. Une fois arrivé à la ferme, je comprends que je ferai la course seul en queue. Tout va bien jusqu’à atteindre le champ où je m’embourbe dès les premiers mètres. Pied à terre, je pousse le biclou dans la gadoue et me dit que j’aurais dû m’entraîner à la course à pied plutôt qu’au cyclisme. La boue me colle aux baskets et ma monture ne cesse de s’alourdir. J’émerge finalement de cette bouillie et me prépare à vivre ma première traversée d’un bistrot à vélo. Derrière le comptoir, Fabienne et son équipe tirent les bières, les spectateurs, attablés ou debout, lancent leurs encouragements. À la sortie du bar, les trois marches que je redoutais. « Tu te mets bien en arrière et tu ne réfléchis pas, tu fonces ! », m’avait conseillé avant la course Séverin Buttiaux, premier champion du monde de cyclocross de bistrots. Courageux mais pas téméraire, je n’ose m’élancer et franchit gauchement l’obstacle, ce qui me vaut une jolie note artistique de la part des commentateurs. Qu’importe, j’ai terminé le premier tour. Je n’ai plus personne en ligne de mire, les premiers concurrents sont déjà de retour dans le bourbier. Maintenant que je connais le parcours, j’aborde le deuxième tour plus sereinement, et ressors du bistrot avec la satisfaction d’avoir déjà atteint la moitié de l’épreuve. Mais la fatigue commence à se faire sentir, le terrain ne cesse de se dégrader. Les premiers concurrents me prennent un tour et terminent avant que j’entre une dernière fois dans le champ de boue. « Eh bien, mon p’tit Jean-Paul, c’est la fin de cette troisième manche VTT ! » « Eh non, mon p’tit Patrick, il reste un concurrent ! Je le vois au loin, c’est Pierre Vion qui s’apprête à terminer son quatrième tour ! On va l’encourager jusqu’au bout ! » Je traverse le bistrot sous les ovations sympathiques des spectateurs pour enfin déboucher sur le parking et franchir la ligne d’arrivée ! Mission accomplie.

“Je l’ai fait !” – Pierre Vion, concurrent heureux du Ronde de Tartous

Les poumons transis, il me faut plus de temps pour me remettre de mon petit exploit que pour le réaliser. Une fois mes vêtements civils et propres enfilés, je peux enfin profiter de l’ambiance et d’une mousse, avec l’excuse hypocrite que la bière est bienvenue après une bonne session de vélo. La compétition se poursuit sans relâche, les manches se succèdent jusqu’à la dixième et dernière. Comme chaque année, le commentateur Patrick Chapatte monte à son tour en selle et, cette fois, il pourrait bien se qualifier pour la suite : quelques défections ont réduit à quatre coureurs cette dernière manche… Heureusement pour lui, un cinquième coureur se pointe finalement sur la ligne de départ et le trublion peut s’en tenir à un tour d’honneur, laissant les quatre places pour les demi-finales à ses compères. Pour celles-ci, le niveau est plus homogène et le plaisir passe au second plan : place à la vraie compétition ! Les quatre meilleurs de chaque manche atteignent donc les finales et là, les concurrents donnent tout et surtout du grand spectacle. Clément Pruvost s’impose assez largement en VTT, devant Florian Merchez et le local Benjamin Demont ; chez les féminines, Anne Breniaux survole la finale, suivie par Sandrine Martel – autrice d’une magnifique remontée après un problème technique, puis Noémie Garcia et Marie Guillemant qui franchissent ensemble, main dans la main, la ligne d’arrivée et décrochent la troisième place. Reste l’épreuve reine : la finale de cyclocross.

Le tenant du titre, Rubben Gallien, arbore son maillot de champion du monde de cyclocross de bistrots, décroché l’année dernière. Parmi les sept autres concurrents, Germain Samier, qui avait remporté l’épreuve de Robecq en 2023, espère bien ravir la victoire. Ce dernier commence d’ailleurs parfaitement la course, avec un départ canon, tandis que Rubben Gallien reste en retrait, pointant même à la sixième place à l’entrée du champ. Les coureurs vont vite, même dans la boue, descendant le plus tard possible de leur selle. Germain caracole en tête, mais Rubben est toujours dans la course, grapillant les places. Plus à l’aise que ses concurrents dans la gadoue, il reprend la deuxième position rapidement et part à la poursuite de Germain. Le duel final est lancé, le leader s’efforce de maintenir son avance, mais Rubben l’a en ligne de mire. Le champion en titre recolle et au quatrième tour, il double finalement Germain dans la partie technique : s’élançant juste avant les escaliers, Rubben dépasse son adversaire et le décroche totalement en quelques mètres de course à pied. Germain montre des signes de fatigue, mais Rubben, impassible, s’envole vers la victoire ! Il remporte ainsi pour la deuxième fois le Ronde de Tartous, mais pour conserver son maillot de champion du monde, il devra également réaliser une belle performance lors de la seconde manche, prévue le samedi 27 janvier à Hellemmes, sur un parcours plus roulant cette fois, traversant un parc vallonné et non plus un bistrot, mais un manoir. Je ne sais pas si ce sont les bières de récup’ qui parlent, mais j’ai bien envie d’y retourner.


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