La ville de St-Pol a lancé ses semaines culturelles sur le thème de la liberté. Alors, plutôt que d’annoncer les différents événements (que vous retrouvez déjà dans notre agenda), notre journaleux a préféré apporter sa contribution : une réflexion générale sur la liberté de la presse et des journalistes
Médicament ou poison ? Sur l’étiquette du flacon, la mention dissuade : « Presse, ne pas avaler ». L’avertissement date de mai 68. Depuis, les poisons et leurs remèdes ont évolué. Le développement d’Internet a démultiplié les sources d’informations mais aussi mis à mal le modèle classique de la presse. Pourtant, son rôle reste essentiel à l’heure où déferlent sans cesse les fake news, informations en continu, pétitions sur Facebook, tweets de Donald Trump, déclarations en bois des politiques et galimatias institutionnels. La presse est un phare dans l’océan tempétueux de l’information, elle doit éclairer les citoyens, les guider vers la vérité que sont les faits, qu’ils plaisent ou non. « Le journalisme, c’est imprimer ce que quelqu’un d’autre ne voudrait pas voir imprimé. Tout le reste n’est que relations publiques », dénonçait le prophétique George Orwell.
Un Paul le poulpe vaut mille migrants
Aujourd’hui, la communication est partout et bat la mesure médiatique. Impossible pour un journal de rater un sujet traité chez le confrère concurrent. Petits et grands médias s’épuisent dans une course au buzz pour doper leur audience et engranger des recettes publicitaires, au point de délaisser leur métier originel. Sont-ils là pour amuser la galerie ou pour donner des informations importantes ? Mesure-t-on l’importance d’une information au nombre de clics ou de journaux vendus ? L’imprimerie est une industrie, la presse un service public. La plupart des journalistes ont une haute estime de leur métier mais peu peuvent l’exercer pleinement. Les réductions d’effectifs dans les rédactions, les conditions de travail précaires, les lignes éditoriales privilégiant les faits divers et « l’infotainment » (l’infodivertissement) les détournent de l’investigation au profit d’une couverture exhaustive de l’actualité aussi chaude que possible, sans attendre que les cadavres aient refroidi. Du moins, certains cadavres. Tous les journalistes connaissent la cynique « loi du mort-kilomètre » : un mort à proximité – jackpot si c’est un enfant – récoltera plus d’audience que mille morts à l’autre bout du monde. Il existe des exceptions, comme les quelque dix-sept mille migrants– enfants compris – morts depuis 2014 en Méditerranée, à notre porte. Un céphalopode prédisant les résultats de la coupe du Monde de football (voire de curling) fera toujours plus d’audience.
Les lecteurs, meilleurs garants de la liberté
Quelques journaux résistent encore et toujours à l’envahisseur publicitaire, ainsi immunisés de la pression de la publicité et de l’audience à tout prix, grâce au soutien de leurs lecteurs qui reconnaissent la qualité du travail journalistique. Citons pour exemple le Canard Enchaîné, l’amiénois Fakir, « journal fâché avec tout le monde ou presque », La Brique lilloise ou, dans un autre registre, Charlie Hebdo qui compte désormais plus d’abonnés que de lecteurs. Un sacré ramassis de gauchistes, d’ailleurs (mais on peut aussi citer les fachos de Minute), peut-être parce que la liberté ne peut se cacher sous une prétendue neutralité qui contraint trop souvent les journalistes à se laisser enfermer dans une communication qui les pousse à tous dire la même chose. Évidemment, un journal orienté, voire engagé, ne sert qu’à renforcer ses lecteurs dans leurs propres convictions. Heureusement, la liberté de la presse et d’expression permet à chacun de confronter les différentes informations et de forger son avis sur le monde. La pluralité et la diversité des médias sont nécessaires à la démocratie et à l’expression citoyenne, mais la liberté de la presse est intimement liée à son indépendance financière. Le soutien de ses lecteurs reste la meilleure garantie de l’indépendance d’un journal.
Lâcheté et autocensure : les pires ennemis du journaliste
Et le Gobelin du Ternois dans tout cela ? Il ne vaut pas mieux que les autres ! Journal totalement gratuit, il ne vivote que grâce à quelques revenus publicitaires et prestations tarifées. Le Gobelin cherche à faire se faire entendre dans le Ternois afin d’attirer un maximum de lecteurs et de vendre de la publicité pour financer son activité, car la gratuité permet d’augmenter l’audience mais surtout d’informer un maximum d’habitants. Plutôt que sur le sensationnalisme, le Gobelin mise sur la qualité de ses reportages et sur sa ligne éditoriale engagée sur les bords (et dégagée sur les côtés). Malheureusement, le Gobelin ne peut se targuer d’une liberté totale d’expression : l’autocensure et la lâcheté sont les pires ennemis du journaliste. Convictions politiques ou religieuses, conflits d’intérêts, relations personnelles, enjeux commerciaux, ainsi que questions d’éthique et de responsabilité font l’objet d’âpres débats dans notre rédaction. Le Gobelin s’efforce de penser contre lui-même et invite ses lecteurs à suivre sa démarche. Le Gobelin espère ajouter de la diversité à l’information locale et témoigne que la liberté de la presse est une réalité qui doit être entretenue.