Comment les Polopolos redonnent du sens à la monnaie et à l’acte d’achat

Par Brian O’Mally.

J’ai redécouvert mes Polopolos dans mon portefeuille à la friterie, en cherchant un billet pour payer. Je les avais reçus de mon employeur, je les avais mis là, et je les avais oubliés. Alors, j’ai demandé à la dame de la friterie si elle prenait les Polopolos. Quand elle a acquiescé, je lui ai donné les deux billets en lui disant de garder la monnaie. Elle a voulu me la rendre mais non, j’ai insisté sur le fait que ça me faisait plaisir. Et c’était vrai. Alors on a discuté deux minutes de tous les gens qui payaient en Polopolos, de ce que lui avait apporté l’opération. En partant, je me suis dit que c’était peut-être ça le plus grand succès de l’opération : rapprocher les gens.

Aujourd’hui, je paye avec ma carte bleue, sans penser à la valeur de ce que j’achète. Je pense au prix.

La monnaie doit servir à ça : la dame était contente parce que son travail était reconnu ; je l’étais parce que le fruit de son travail avait l’air délicieux. La monnaie a été inventée au temps du troc, où on donnait deux stères de bois contre deux boisseaux de blé, pour faciliter les échanges, symbole de notre interdépendance et de la confiance réciproque. Aujourd’hui, je paye avec ma carte bleue, sans penser à la valeur de ce que j’achète. Je pense au prix. Mais je ne me demande pas à chaque fois le travail qu’ont nécessité ces baskets, qui les a faites, comment elles sont fabriquées et surtout à qui va mon argent à la fin. Peut-être que les Polopolos peuvent servir à ça : à se demander ce que je peux faire avec dix Polopolos, si je connais quelqu’un, autour de moi, peut-être même quelqu’un que j’apprécie, qui a quelque chose que je pourrai échanger et qui sera content des billets que je lui donnerai. Car si ce n’est pas pour réaliser un échange dont on sortira tous un peu satisfaits, à quoi ça sert d’avoir des billets ?

De l’intérêt d’une valise de billets sur une île déserte

En soi, ils ne valent rien. Si je parviens à accumuler une valise de billets à la sueur de mon front et que demain, ma valise et moi atterrissons sur une île déserte, je suis certain que la valise me sera plus utile comme réserve d’eau de pluie que les billets qu’elle contient (ou peut-être comme combustibles, Gainsbourg m’en soit témoin). Et pourtant, je vérifie compulsivement mon compte bancaire à intervalles réguliers, je me projette sur le fait d’en avoir un peu plus, pour des projets, pour transmettre un jour ou pour me sentir en sécurité. Du coup, je me donne à fond au travail. Il m’arrive même de gratter un petit ticket de la Française de Jeux en espérant qu’il me fasse gagner le gros lot. Mais cela a-t-il du sens si mon grand projet consiste à partir en vacances au loin, pour me reposer du travail ? Si pour cela, je me suis tué à la tâche ? Cela a-t-il du sens si chaque grattage est source d’une excitation qui n’a d’égal que la déception de ne pas avoir gagné le gros lot ? Je me dis qu’il y avait plus de sens dans le sourire partagé autour d’une frite.

Une bière à 17 078 euros ?

Certes, une partie de ma sécurité repose sur la somme qu’indique mon compte bancaire. Un habitant du Pas de Calais avait, en moyenne et en 2014, 17 078€ d’épargne. Peu ou beaucoup ? Quand j’ai lu cette info, mon premier réflexe a été de me comparer. Puis après, je me suis demandé ce que ça valait vraiment un Euro et comment c’était décidé. Si, par exemple, un pays comme la France avait recours massivement à des emprunts face à une situation exceptionnelle et qu’il perdait la confiance des marchés, on pourrait alors assister à une crise monétaire, c’est-à-dire une situation où l’Euro perd de son pouvoir d’achat. Ce fut le cas en 1923 en Allemagne, où une bière – bien essentiel ! – pouvait être obtenue contre 4 milliards de Marks. Dans une telle situation, à quoi ça me servirait de savoir que j’ai 17 078 € d’épargne ? Si je peux pas me payer une bière avec ! Ne cédons pas à la paranoïa, mais à partir de cette réflexion, j’ai découvert que la monnaie, avant qu’elle prenne la forme de pièces, existait depuis des millénaires. Dans l’Egypte des pharaons, de -3000 à -1000, une monnaie “centrale”, pour les échanges lointains, a coexisté avec une ou plusieurs monnaies locales pour les échanges du quotidien. Cela aurait permis une prospérité économique et la possibilité d’une certaine résilience : ainsi, une guerre au niveau national n’affectait pas l’économie locale. Peu importait la valeur de la monnaie “centrale”, une bière avait toujours la même valeur localement dans les échanges pour les deux partis.

Repenser les Polopolos pour en faire une véritable monnaie locale

De l’achat d’une frite, j’en suis arrivé à la conclusion que ça pourrait être bien que le projet continue, que les Polopolos grandissent jusqu’à, pourquoi pas, devenir une monnaie locale, c’est-à-dire un moyen de favoriser l’échange de biens et de services locaux, entre personnes qui se connaissent, qui se sourient. Si j’achète ma salade sur le marché plutôt qu’en drive, je connais celui qui la produit, et s’il joue avec ma confiance, alors, j’arrêterai d’acheter ma salade à son étal et je passerai le mot. J’imagine qu’une monnaie locale serait gérée par des citoyens en qui on aurait confiance, dont on pourrait demander à faire partie, qui se porteraient garants des choix faits, qui devraient rendre des comptes. Alors, bon, je ne sais toujours pas ce que vaut un Polopolo, mais si en échangeant une frite contre un billet, ça me permet de retrouver le sourire et un peu de sens, je suis partant pour essayer !


Une monnaie locale, c’est quoi ?

Une monnaie locale peut servir à payer des achats du quotidien dans le cadre du commerce de proximité, de la vente de produits et de services locaux. Elle peut également servir à développer des projets solidaires. Il n’est pas possible de déposer de la monnaie locale sur un compte en banque. C’est une monnaie non soutenue par un gouvernement national, qui n’a pas forcément cours légal et qui ne peut être utilisée que dans une zone délimitée. Elle peut être citoyenne ou initiée et soutenue par une collectivité, sous forme électronique ou papier. Elle présuppose d’avoir un fonds de garantie, équivalent à la somme mise en circulation, d’avoir un réseau dense dans lequel on peut utiliser la monnaie pour des biens ou services. Les monnaies locales ont tendance à circuler plus rapidement que les monnaies nationales. La même quantité de monnaie en circulation est employée davantage de fois et entraîne une activité économique globale plus importante.


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