L’assistant du député à la rencontre des gilets jaunes pour comprendre leur colère

Une délégation des gilets jaunes du Ternois a rencontré le député Bruno Duvergé le 7 décembre pour évoquer les difficultés auxquelles ils sont confrontés au quotidien. Le parlementaire s’était engagé à rencontrer tous les participants individuellement pour faire le point sur leur situation personnelle. Il a dépêché pour cela son attaché parlementaire, Jean-Marie Dupuis, qui a débuté sa tournée jeudi en allant à la rencontre d’Hervé et Dominique Barbe, deux des irréductibles gilets jaunes qui font partie du noyau de protestataires du Ternois. « Nous avons commencé ce travail dans le secteur de Bapaume et nous avons constaté que les situations étaient très variées parmi les gilets jaunes, rapporte Jean-Marie Dupuis. Il n’existe pas une mesure miracle pour répondre à tous les problèmes. Nous voulons faire une analyse plus fine, point par point, au cas par cas, pour voir où le système a échoué. »

« Moi, les cent euros de Macron, je ne les aurai pas »

Hervé a quarante-sept ans et en a déjà passé trente dans la vie active. Il s’est retrouvé au chômage en septembre dernier, après avoir enchaîné les contrats : « J’ai longtemps travaillé dans les travaux publics, j’ai fait pas mal de trucs. J’ai pu passer mon permis poids lourd avec mes heures de formation individuelle. Mon patron de l’époque a même pris en charge les heures qui me manquaient mais ensuite, il ne voulait pas que je conduise de camion. J’ai alors démissionné pour travailler ailleurs. » Hervé est du genre à dénoncer les problèmes, ce qui n’est pas toujours du goût des employeurs : pas question de conduire un camion en piteux état ou d’effectuer des tâches risquées pour lesquelles il n’est pas couvert. Résultat : il se retrouve sans emploi et doit reprendre ses recherches. « Il a envoyé des dizaines de CV depuis septembre, soupire son épouse Dominique, qui a dû arrêter de travailler pour s’occuper de leurs deux enfants. Herta recherchait cinquante salariés, mais Hervé n’avait soi-disant pas le profil. À Saint-Pol, il faut faire partie de la famille ou connaître du monde pour trouver du boulot. » « L’important, ce n’est pas le profil, c’est ce qu’on donne pour l’entreprise, s’insurge Hervé. J’ai fait un essai aux Délices des sept vallées : le travail se passait bien, mais j’ai raté le test à une question près. Je n’ai jamais fait grand-chose à l’école, la théorie, ce n’est pas mon truc. Mais pour la pratique, il n’y a pas de problème. » Actuellement, il touche à peine plus de mille euros d’assurance chômage et ne trouve pas de travail : « J’ai travaillé quasiment toute ma vie pour me retrouver avec mille euros. Aujourd’hui, Pôle Emploi m’a envoyé deux offres, mais à Boulogne-sur-Mer. J’ai bien fait quelques petits contrats ici ou là, mais si je travaille trois jours, ce que je gagne est décompté de mon allocation, c’est décourageant. » « C’est un véritable problème, identifié depuis des années par les différents gouvernements, mais pour l’instant, aucun n’a trouvé de solution », reconnaît l’attaché parlementaire qui demande à son hôte pourquoi avoir enfilé le gilet jaune. « La première raison, c’étaient les taxes sur le carburant, rappelle Hervé. Mais c’est surtout la question du pouvoir d’achat en général, on voit que tout augmente. Une fois qu’on a tout payé, il nous reste deux cents euros pour finir le mois. Moi, les cent euros de Macron, je ne les aurai pas. »

« J’espère que samedi, ça va péter. Il faut qu’il se passe quelque chose »

Jean-Marie Dupuis s’efforce d’expliquer que les annonces du président doivent désormais être discutées et mises en musique par les parlementaires : « Les détails de la mesure ne sont pas encore connus car il faudra s’assurer que les bénéficiaires touchent bien cent euros net. Il y a un temps incompressible pour la mise en place des mesures. Votre mouvement a réussi à obtenir, en un mois, près de douze milliards d’euros de la part de l’État. C’est du jamais vu. » Une réponse de bon sens mais difficile à entendre par ceux qui dénoncent l’urgence à boucler les fins de mois. « L’assurance chômage est dégressive. Qu’est-ce que je vais faire quand je n’aurai plus rien ? Si on m’appelle pour aller travailler et que je n’ai pas de quoi faire le plein de ma voiture, je fais quoi ? » Jean-Marie Dupuis propose d’étudier dans le détail leur bilan financier : « Ça va être vite fait ! », lance Dominique, avant de mentionner la protection sociale : « Si on avait droit à la CMU, je n’aurais pas à payer soixante-quinze euros de mutuelle. À quelques euros près, on n’a le droit à rien. » Tout en prenant des notes, l’attaché parlementaire assure que ce problème est connu : « On souhaite justement travailler sur les effets de seuils. Le prélèvement à la source doit aussi permettre de calculer les prestations sans se baser sur l’année précédente. Nous n’avons pas de solution immédiate sur tous les sujets, mais nos échanges nous permettront d’alimenter le débat à l’Assemblée nationale. » Face à la situation d’urgence des gilets jaunes, Jean-Marie Dupuis défend la bonne foi des parlementaires, souligne la complexité des procédures législatives. La discussion est ouverte et cordiale, mais les arguments et arguties ne suffisent plus à convaincre Hervé qui affiche son gilet jaune quasi quotidiennement depuis un mois sur les ronds-points du Ternois : « J’espère que samedi, ça va péter. Il faut que ça pète. Détériorer l’Arc de triomphe, tout ça, je ne suis pas d’accord, mais il faut qu’il se passe quelque chose. Moi, je vous le dis, ça va péter. » L’assistant parlementaire est sidéré par une telle rage qu’il s’efforce de comprendre. La conversation est interrompue par la sonnerie du téléphone de Dominique, prémonitoire : Highway to Hell.

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