« Vous voulez être éleveur ou travailler dans l’élevage ? Vous avez raison, c’est un métier d’avenir, mais il ne faut pas le faire comme on vous l’a appris. » Les étudiants du lycée agricole de Radinghem lancent un coup d’œil inquiet à leur professeur lorsque Mickaël Poillion présente son exploitation : « On m’a formé à être un producteur de lait, alors que ce que je voulais, c’était être un paysan. J’ai fait des choix qui me permettent aujourd’hui de répondre à mes souhaits, mais aussi de gagner ma vie. Je ne travaille pas de 6h du matin à 22h : on peut être éleveur et partir en vacances, s’occuper de ses enfants, faire la vaisselle… Il faut changer notre approche de l’élevage, j’essaie de le faire en démontrant qu’économiquement, ça marche. »
« J’ai fait le pari de mettre l’herbe au cœur du système, pour avoir moins de travail et plus de revenus. »
Mickaël Poillion, paysan à Héricourt
L’éleveur a piqué la curiosité de son jeune auditoire, avec un discours bien rôdé, construit durant quinze années d’expérience et d’expérimentations. Petit à petit, il a réorienté la ferme familiale d’Héricourt vers une production bio et une démarche de réduction des gaz à effet de serre, mais son engagement veut aller bien au-delà, dans une démarche holistique : « Une ferme, c’est multifonctionnel. On regarde le revenu évidemment, mais on doit aussi prendre en compte le temps de travail, la qualité de vie, l’impact sur son village, son territoire. J’ai fait le pari de mettre l’herbe au cœur du système, pour avoir moins de travail et plus de revenus. C’est ce qu’il y a de mieux pour être éleveur, le système le plus vertueux, si on regarde au-delà de la question purement économique. » Le principe est simple : mettre les vaches dehors et les laisser brouter autant que possible.
« Un bovin reste un ruminant : il faut qu’il bouffe de l’herbe. »
Évidemment, cela suppose d’avoir de l’herbe, donc des pâturages avec des haies et des arbres : autant de végétaux qui stockent le carbone présent dans l’atmosphère et contribuent à entretenir la biodiversité. Le tout en évitant aussi de nourrir les bêtes avec du soja OGM venu de l’autre côté du globe. « L’engraissage à l’auge est une hérésie et ça coûte très cher. Un bovin reste un ruminant : il faut qu’il bouffe de l’herbe. Un changement de système est nécessaire pour être efficace. On m’a appris qu’il ne fallait pas sortir les veaux avant six ou huit mois : ici, après deux ou trois semaines, ils sont déjà dehors. Ça demande une technique, de réfléchir aux vêlages pour qu’ils se déroulent au printemps ou l’automne : un vêlage le 1er décembre, c’est une connerie. J’ai constaté la différence entre les vaches qui sortent à l’herbe plus ou moins rapidement : la croissance n’a rien à voir. Dans ce système, la holstein déguste, mais d’autres races comme la montbéliarde ou même la flamande s’adaptent bien. » Tout ça, c’est bien joli pour les vaches et les petits oiseaux, reste à comprendre comment Michaël Poillion réussit à travailler moins pour gagner plus – la venue de Nicolas Sarkozy dans l’exploitation en 2011 n’a visiblement pas convaincu. L’éleveur pousse la provocation jusqu’à réduire autant que possible son cheptel – et donc les émissions de méthane associées – et diminuer la production de lait par vache.
« Je suis très pragmatique, ça fait quinze ans que je construis ce système. Ce n’est pas toujours possible, ça nécessite une réflexion à dix, quinze, vingt ans. »
Avec le label bio, l’éleveur peut toucher 150€ de plus qu’une exploitation conventionnelle pour mille litres de lait – ce qui peut représenter jusqu’à 30% d’écart. De plus, grâce au stockage de carbone dans les végétaux et en réduisant leurs émissions, les agriculteurs peuvent obtenir des “crédits carbone” à revendre à des entreprises plus polluantes : engagée dans le plan carbone de la production laitière, l’exploitation de Michaël Poillion pourrait réduire ses émissions de 437 tonnes d’équivalent CO2, en stocker 119 tonnes, tout en dégageant un gain de près de 22 000 euros en cinq ans. Autant de revenus complémentaires qui permettent à l’agriculteur de valoriser sa démarche : « Ça peut fonctionner économiquement, avec une meilleure qualité de vie pour l’agriculteur. La période est très compliquée pour tous, il faut trouver un autre équilibre. Le bio permet d’aller chercher de la valeur ajoutée, mais ça ne se fait pas du jour au lendemain. Je suis très pragmatique, ça fait quinze ans que je construis ce système et je ne suis en bio que depuis deux ans sur le lait. Ce n’est pas toujours possible, ça nécessite une réflexion à dix, quinze, vingt ans. Je ne vous dis pas qu’il faut forcément faire ainsi, mais écoutez tout le monde et faites ensuite vos choix », conclut le paysan avant d’emmener les étudiants voir ces fameuses vaches qui broutent pour sauver le monde et les agriculteurs.