« Il ne suffit pas de saupoudrer le français de quelques mots de patois, comme on sale les frites, pour parler le ch’ti », note Fernand Carton, linguiste spécialiste des parlers picards. En effet, le picard est une langue régionale officiellement reconnue, ce qui permet à Yves Dézèque de proclamer fièrement : « Je suis bilingue ! » Depuis qu’il a pris sa retraite, celui qui se fait appeler “ch’Pointeux” consacre une bonne partie de son temps à la promotion de la langue picarde. Grâce à lui, le village de Magnicourt-en-Comté a été le premier du Pas-de-Calais à signer la charte “Oui au picard”, ce qui a notamment donné lieu à l’installation de quatre panneaux communaux à l’entrée de “Manicourt-in-Comteï” l’été dernier. Nouvelle étape dans la promotion de la langue picarde : l’organisation de la première édition du festival “Chés wèpes” dans le département. Du 14 au 17 septembre, diverses animations sont proposées à Magnicourt, Beugin et Frévillers pour redécouvrir ce patrimoine culturel.
« Le picard est une langue qui a dérivé du latin, elle est cousine du français. »
Yves Dézèque, aka ch’Pointeux
« Le picard, c’est une culture à part entière. Ce n’est pas du patois, qui est une déformation du français. Le picard est une langue qui a dérivé du latin, elle est cousine du français. On est vraiment dans une démarche littéraire. Le picard a toujours été écrit, on a des textes qui remontent au XIIIe siècle ! », atteste Yves Dézèque, intarissable sur l’origine de sa langue maternelle. Aujourd’hui, la France reconnaît quelque soixante-quinze langues régionales et le picard peut même être enseigné dans les académies de Lille et d’Amiens : une façon de garder cette langue vivante, alors qu’elle est considérée comme étant “sérieusement en danger” par l’Unesco. « Si on n’est pas là pour la faire vivre, elle risque de disparaître. L’apprentissage du picard développe autant les capacités des enfants que celui de l’anglais par exemple. La défense du picard n’est pas une bataille d’arrière-garde, il existe encore des concours littéraires chaque année ! », insiste Yves Dézèque. il fait d’ailleurs partie de la commission de néologie de l’agence régionale de la langue picarde, où il a pour mission de définir les nouveaux mots, pour que le picard reste dans l’air du temps. Ainsi, la commission a élaboré un “Dictionnaire du vocabulaire de l’informatique en picard” qui regroupe 177 termes comme “carculoère” pour “ordinateur”, “télékerker” pour “télécharger”, ou encore “ravisioconférinche”pour “visio-conférence”. « Il faut que ce soit intelligible. On doit standardiser pour que la langue puisse être enseignée », remarque Yves Dézèque. Un travail qui donne lieu à des débats endiablés, car le picard est une langue unifiée, mais avec de nombreuses variations en fonction des territoires.
Un héritier du linguiste Edmond Edmont et un ambassadeur du Ternois
À l’agence de la langue picarde, Yves Dézèque est d’ailleurs le représentant du Ternois, dont les spécificités sont bien identifiées et même mondialement connues grâce au travail du linguiste – et ancien maire de Saint-Pol – Edmond Edmont : « Il a rédigé un lexique du Saint-Polois, écrit en phonétique, ce qui permet de retrouver l’accent : il n’y avait pas d’enregistrement à l’époque. Le travail d’Edmond Edmont, c’est ma bible. Moi, je sais comment ça sonne, j’entends depuis tout petit l’accent de la Ternoise ! » Avec son personnage de “ch’Pointeux”, Yves Dézèque continue de faire chanter le picard et milite pour redonner ces lettres de noblesse à cette langue trop méprisée et surtout méconnue car finalement, nombre de Ternésiens utilisent des mots issus du picard au quotidien, sans s’en rendre compte. Reste à savoir si cet héritage linguistique sera suffisant pour comprendre les contes, histoires et chansons qui seront présentées au festival “Chés Wèpes”, qui signifie “les guêpes”. Si vous ne le saviez pas, venez prendre une leçon de picard !
Retrouvez Yves Dézèque pour parler de la langue picarde dans notre émission Peterview, ce mardi 5 septembre à 21h, en direct sur notre chaîne Twitch.