Edouard Bergeon émeut le Régency avec une tragédie agricole, familiale et authentique

« C’est dur de voir sa vie défiler à l’écran », confesse Geneviève à la sortie du Régency, tandis que son agriculteur de mari discute de l’effondrement du cours du blé avec Edouard Bergeon venu présenter, en avant-première, Au nom de la terre. Pour son premier film, le réalisateur a choisi de raconter son histoire, celle de son père, de sa famille : le récit presque banal de la descente aux enfers d’un agriculteur embarqué dans un système où tout lui échappe. Edouard Bergeon a réalisé plusieurs documentaires sur le monde agricole, mais la fiction est une nouvelle façon pour lui de décrire la réalité : « Nous avons abandonné certains éléments de la véritable histoire, des pans entiers de la réalité que nous n’avons pas repris car ça n’aurait pas été crédible. La véritable histoire est bien pire que la fiction », confesse Edouard Bergeon qui s’est contenté de tordre quelques éléments de son vécu pour écrire une histoire de cinéma. Sur le fond, tout est vrai, surtout le pire.

« Ce que vous montrez dans votre film, c’est important de le dire et de le faire savoir »

Dans la salle du Régency, bon nombre d’agriculteurs ont voulu découvrir ce qu’Edouard Bergeon avait à raconter, à l’écran et au micro. Tous ceux qui sont intervenus ont salué le réalisme du propos, à commencer par un jeune responsable d’élevage, fils et petit-fils d’agriculteur : « Ce que vous montrez dans votre film, c’est important de le dire et de le faire savoir. Ce qui m’a étonné, c’est que vous n’avez rien oublié du tout. » « On tenait à ce que tout soit crédible. On savait que des agriculteurs allaient voir le film et qu’ils sont très pointilleux : ils auraient repéré la moindre erreur et ça aurait décrédibilisé le propos. Dès qu’on avait une question, on la posait à Vincent, l’agriculteur de la Mayenne, chez qui nous avons tourné », souligne le réalisateur. « Nous avons dû trouver le matériel agricole utilisé dans les années quatre-vingt-dix. Le film raconte aussi une époque », précise Christophe Rossignon qui a produit Au nom de la terre et pour qui « il était impossible de ne pas venir présenter ce film au Régency. La salle est pleine, c’est une belle surprise, c’est même un signe : c’est que le sujet intéresse le public. »

« J’ai passé une enfance merveilleuse à la campagne, j’ai voulu montrer ça aussi »

« Aujourd’hui, l’agriculture est à un point de bascule, estime Edouard Bergeon. On voit des villages se vider, on parle beaucoup de bio, des perturbateurs endocriniens, des pesticides… Le film raconte quarante années d’un modèle agricole qui existe toujours. Depuis vingt ans, il y a une prise de conscience. Des agriculteurs essaient de raccourcir les circuits, de changer de mode de production. On épuise la terre, il faut changer de modèle. On n’a pas le choix. » Une vision partagée par Mickaël Poillion, agriculteur engagé et maire d’Héricourt, qui a commencé par remercier le réalisateur pour son film : « Ce système agricole a poussé des gens dans des situations dramatiques. Votre père était en fait très seul. On m’avait raconté qu’il existait une solidarité entre les agriculteurs, mais c’est un mythe. Nous devons nous tourner vers une agriculture qui repose plus sur la coopération que sur la compétition. » Le réalisateur approuve : « Je ne voulais pas faire d’agribashing, ou donner une mauvaise image des agriculteurs. Mon père n’était pas toujours fier de ce qu’il produisait, mais il était fier d’être paysan et de nourrir la France. J’ai passé une enfance merveilleuse à la campagne, j’ai voulu montrer ça aussi, raconter une histoire de famille forte. J’avais envie de passer un message positif autour de ce film. » Pourtant, il aura fallu quelques minutes au public pour se remettre de ses émotions avant d’engager la conversation avec le réalisateur et le producteur. Finalement, plusieurs spectateurs ont osé prendre le micro pour saluer le travail réalisé, mais aussi pour raconter leurs souvenirs et expériences liés au monde agricole. L’échange a surtout permis d’ouvrir les réflexions sur l’espoir d’un monde nouveau pour les agriculteurs comme pour les consommateurs, comme l’a conclu brutalement Edouard Bergeon : « Il faut que nous changions nos comportements, mais la priorité est que ces gars-là arrêtent de se foutre en l’air. »

Au nom de la terre, avec Guillaume Canet, Verle Baetens, Anthony Bajon, Rufus, Samir Guesmi. Réalisé par Edouard Bergeon. Sortie le 26 septembre 2019.

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