Alors que la nuit et le confinement retombent sur le Pas-de-Calais, une grande fête se prépare à Bailleul-aux-Cornailles. Dans une vaste grange, Victor donne les consignes pour installer les lumières et débat des couleurs les plus appropriées ; Lucie fignole la décoration, mettant à contribution les premiers invités pour gonfler les ballons ; les bouteilles vides s’accumulent sur la table, sous les fanions multicolores. Il ne manque que la musique : « On l’ajoutera en post production », explique Théo Puerta, emmitouflé dans un plaid. Le jeune réalisateur s’apprête à filmer la dernière scène de son prochain court-métrage, baptisé Sans Titre : « On a déjà passé trois jours dans cette ferme. On a aussi tourné dans un appartement d’Arras et au cinéma CGR de Bruay. C’était une semaine très intense, on n’a pas dormi beaucoup, mais on a réalisé de beaux plans, de belles scènes avec les acteurs. Personne ne se connaissait dans l’équipe, mais on a passé tellement de temps ensemble, qu’on a l’impression d’être potes depuis des semaines. »
Autour du réalisateur, une quinzaine de techniciens, comédiens et autres petites mains du cinéma s’activent dans une joyeuse ambiance mais avec minutie et avec un sens aigu de la débrouille : quelques toiles ont été tirées pour faire office de loges, la maquilleuse s’est installée dans une voiture où les comédiens se succèdent, tandis que l’actrice principale s’offre un roupillon sur la banquette arrière. « On n’avait que cinq jours de tournage, une journée de plus aurait été bienvenue », sourit Irina, fatiguée mais concentrée sur son rôle de scripte : « Je dois vérifier que l’histoire et la mise en scène sont cohérentes. Je suis présente sur le tournage mais je dois penser à ce qui pourra se faire au montage. J’assure aussi un peu l’organisation et là, on n’a plus le temps : il faut qu’on tourne ! Ils arrivent quand les figurants ? »
Pendant que les techniciens vérifient leurs réglages, Théo répète les scènes avec ses acteurs : « Ohlala, ce n’est pas fluide ! […] Bon, là, c’est too much. Restez naturels. […] Il faut que ce soit sensuel ! » Entre deux rires, Yannis et Axelle répètent inlassablement leurs textes et mouvements, sous l’œil du réalisateur, flegmatique : « Je suis un peu le chef d’orchestre. Je donne des ordres, mais je suis aussi à l’écoute. Rien n’est figé, mais c’est moi qui ai le dernier mot et la responsabilité de la direction des acteurs et du choix des plans. » D’ailleurs, on lui demande son avis sur tout : « Théo, je remets des ballons ? » ; « Théo, tu veux quelle couleur pour les néons ? » Néanmoins, chacun connaît son job, seuls les figurants – venus pour certains de Paris – observent avec curiosité le manège, tout en restant discrets. « Un peu de silence, s’il vous plaît, on va lancer la répétition », annonce Irina. Devant la porte, les trois comédiens serrent les plaids qui couvrent leurs tenues de soirée, attendant qu’on les invite à entrer. Les techniciens allument caméras et micros. Tout le monde se tait, le clap résonne : « Moteur… Action ! »