Installée dans les Côtes d’Armor, armée de son micro, Inès Léraud dénonce depuis bientôt dix ans les ravages de l’agro-industrie en Bretagne, notamment le scandale sanitaire et écologique des algues vertes. Après une série de reportages diffusés sur Radio France et une bande-dessinée, son enquête a été portée à l’écran par Pierre Jolivet, dans un film sobrement intitulé Les Algues vertes. On y découvre comment l’élevage intensif a entraîné une prolifération de ces végétaux qui, en se décomposant, produisent du sulfure d’hydrogène. Ce gaz potentiellement dangereux est suspecté d’être à l’origine d’une série de décès sur les côtes bretonnes pour des animaux non-humains (sangliers, chiens, cheval) et humains, parmi lesquels Thierry Morfoisse, chauffeur de poids lourd qui nettoyait les plages infestées d’algues vertes ; et Jean-René Auffray, joggeur retrouvé mort dans la vase.
Enquêter sur le sujet, c’est s’attaquer à l’agro-industrie, colonne vertébrale de l’économie bretonne, et au tourisme qui pâtit déjà de la pollution visuelle de ces algues : il ne faudrait pas qu’en plus, les vacanciers sachent qu’elles sont dangereuses ! Mais pour bon nombre d’élus locaux, d’agriculteurs, d’habitants – sans oublier la FDSEA – le véritable danger, c’est Inès Léraud qui enquête, questionne, remonte les pistes, délie les langues, recueille les rapports et témoignages, qui ose faire du journalisme. À tel point que le film peine à retracer toute l’étendue de son travail : les vingt-quatre reportages de son Journal breton et de la bien-nommée Fabrique du silence plongent bien plus au cœur de la Bretagne profonde que ce long métrage, aux dialogues parfois simplistes. En revanche, le film permet d’entrevoir le travail d’une journaliste acharnée, se consacrant corps et âme à son enquête – au point de parfois s’oublier. Au fil de ses découvertes et révélations, elle subit des pressions toujours plus fortes – jusqu’à la déprogrammation de ses reportages. Heureusement, Inès Léraud n’est pas seule : elle peut compter sur le soutien de sa compagne, mais aussi de ses auditeurs, y compris des locaux qui finissent par lui accorder leur confiance, lui distiller quelques informations et lui prodiguer de précieux conseils, comme celui de l’avisée bistrotière du coin : « Faites quand même attention à vous. »
Malgré une impeccable Céline Sallette dans le rôle de la journaliste opiniâtre, le film manque de rythme et peine à retranscrire le long travail d’infiltration sociale d’Inès Léraud pour apprendre à aimer la Bretagne et ses habitants. Les Algues vertes a plutôt la forme d’un téléfilm de France 3 Bretagne, l’histoire et le travail d’Inès Léraud auraient mérité une réalisation et une dramaturgie plus poussée. Néanmoins, sur le fond, le film permet d’aborder les enjeux économiques, politiques, environnementaux et sociétaux autour de cette pollution emblématique, et surtout démontre l’importance et les difficultés des journalistes d’investigation pour saboter cette fabrique du silence. Parce qu’en Bretagne, comme dans le Ternois, on en agro !
À écouter : Le Journal Breton d’Inès Léraud, deux saisons en libre accès sur France Culture